Extraits du journal personnel d’Atissak Brasley,

DÉTROUSSEUR DE MONSTRES  

par MARTIN CASSISTA


C’était par une nuit chaude, moite et blanche. Chaude, à cause du 32 degrés celsius régnant à l’extérieur de l’ancestrale demeure. La moiteur, quant à elle, tenait du système de chauffage défectueux réglé au maximum. En bref le mercure atteignait près de 47 celsius dans le grenier où je me trouvais.

Cependant la blancheur de cette même nuit n’était pas tant attribuable au climat qu’à la découverte que je fis : j’avais entre les mains le manuscrit personnel de mon arrière-grand-père, Atsissak Brasley, plus connu sous le nom de « chasseur d’innommables ».

Le livret était enfoui sous une pile d’objets hétéroclites dans un vieux coffre de voyage poussiéreux. Le coffre lui-même n’offrait que peu d’intérêt étant d’un modèle courant pour l’époque ou mon aïeul vécut. Son contenu cependant attira grandement mon attention.

L’électricité n’avait pas été installée au grenier et chaque visite en cet endroit ressemblait à un retour dans le passé. La lumière blafarde projetée par l’antique lampe à l’huile dont je m’étais munie pour mon exploration nocturne, éclairait faiblement le coffre ouvert béatement à la face d’un monde où il n’était qu’anachronisme. J’y trouvais outre plusieurs costumes de voyages embaumant la naphtaline, une paire de chaussures au verni craquelé par l’âge et quelques pièces de vêtements plus intimes ( que je m’abstiendrai de décrire ici vu la décence et le sérieux de la publication que vous tenez entre les mains ), une montre dont la principale caractéristique était qu’elle n’affichait que 11 hres. Ce n’était pas que la douzième s’était effacée ou était tombée par accident; le cadran était divisé en 11 hres égales comme si minuit n’existait pas... ! Je trouvais aussi une canne d’ébène au pommeau d’ivoire représentant un reptile grimaçant à une posture verticale me rappelant un film de série B que j’avais vu la veille, un chapeau haut-de-forme doté d’un système d’éclairage à l’huile semblable à celui utilisé par les mineurs du siècle dernier, un pendule formé d’une chaînette attachée à une sombre pierre veinée de vert, un sachet de cuir, fermé par un lacet, contenant une poudre blanche suspecte et mystérieuse, un pistolet de petit calibre et un assortiment de munitions dont chaque balle était gravée d’un de ces mots : « argent, ail, goudron, bois, plomb, etc ».  Mais le plus étonnant fut le livre relié de cuir à la tranche dorée intitulé : « Notes et réflexions de A. Brasley, chasseur d’innommables ».

J’approchai la lampe à l’huile, m’asseyais confortablement sur le tas de vêtements et entrepris une lecture qui devait à tout jamais changer ma vie et ma perception de la réalité...


Opus Deux !

25 Octobre 1890

L’âge cause bien des problèmes. Le rhumatisme et la sénélité en sont les moindres, les souvenirs en sont les pires. Aujourd’hui encore, une visite inattendue en a ramené plusieurs. Ce matin, pour la première fois depuis 27 ans, j’ai eu la visite de l’abomination !

Comme à mon habitude, après mon petit déjeuner, je me résolu à sortir marcher pour respirer l’air encharbonné mais rafraîchissant de la ville. Me préparant à revêtir ma cape pour me protéger de la froidure matinale je décelé un éclat de lumière dans le coin de la pièce derrière la patère où était suspendue ma cape. J’approchai lentement ma main de la chose, tout en prenant garde de ne pas déranger les toiles d’araignée qui l’entouraient. Les araignées en effet ont mon plus grand respect étant donné l’œuvre exterminatrice de ces messagères du mal que sont les mouches. Le fait que ma demeure en soit couverte de la cave au grenier a souvent amené les foudres de ma bonne et le départ de ma femme arachnophobe.

Je mis finalement la main sur un objet cylindrique que je retirai du sombre coin pour l’exposer à la lumière blafarde du hall principal. Mon émotion fut grande quand je réalisai que je tenais entre mes mains le cadeau que m’avait fait un des vampires rebelles que j’avais appuyé lors de la révolution vampirique des années 50. Cette canne, car ça en était une, taillée dans l’ébène le plus noir que j’usse jamais vu et son pommeau d’ivoire avait, d’après ce que j’avais compris, été sculpté au Japon par un vieux chinois fou et représentait un monstrueux mythe lézardien. Cette canne, qui a la propriété étonnante de pouvoir appeler l’Abomination, m’avais déjà sauvé lors d’un combat avec une horde de goules déchaînées.

Je décidai de la prendre avec moi pour ma promenade... grave erreur. Un instrument aussi puisant ne devrait jamais être pris à la légère. Il s’agit pour convoquer l’abomination de dire le mot magique « swinglabakesdanslfonddlaboitabois » tout en frappant le sol de la canne. Or j’eus le malheur, dans ma balade, de croiser un mendiant accordéoniste chantant une chanson dont les paroles ressemblaient à s’y tromper à la formule magique. M’arrêtant à sa hauteur je me mis allègrement à taper du pied et , tragique destin, à frapper le sol, à léger coups, du bout de ma canne... L'effet fut immédiat.


Opus Trois !

Suite du 25 Octobre 1890,

 

Mon échine frissonna. Cependant la fraîcheur du matin n’avait rien à voir avec cette réaction physiologique bien connue. La raison profonde de ce frisson était l’horreur que je ressentis lorsque retentit le cri strident et cyclopéen de l’abomination.

Du haut du cap où je me trouvais je pouvais voir surgir près de l’île d ‘Orléans ( où avait été exécuté injustement, pour sorcellerie, Madame Corriveau, une amie de la famille ) un gigantesque bouillonnement d’où pointait déjà le mufle de la bête maintenant libéré par mon imprudence. « Holy Mackeral ! » me dis-je, paralysé de stupeur. L’accordéoniste qui se trouvait à quelques pas de moi s’arrêta de jouer sur une fausse note causée par des jambes qu’il prit à son coup tout en hurlant que l’apocalypse s’abattait sur Québec. Le Gargantua titanesque et cacophonique n’était maintenant qu’à quelques centaine de mètres du cap où je me tenais. À moitié sorti de l’eau, en posture verticale, il déplaçait dans sillage des milliers de boisseaux d’eau qui frappaient en raz-de-marée les deux berges du fleuve, engloutissant du coup tous les navires amarrés ou non au port.

J’avais appris lors de notre première rencontre qui date de 27 ans, ( que je raconterai ici un jour ) que l’immense lézard n’avait qu’un but : La destruction complète de toutes les usines alimentées au charbon. Or, non seulement toutes les usines de la ville étaient de ce type mais aussi chaque maison était aussi chauffée à l’aide de cette méthode moderne.

L’anéantissement serait total 

Je devais absolument faire quelque chose. Je tournais donc le dos à la bête et me mis à courir aussi vite que mes pauvres jambes me le permirent. Tout en courant J’entendis les premiers éclats de destruction qui s’abattaient sur la ville. Ayant toujours en ma possession la cane maudite je me doutais que la monstruosité me poursuivrait. J’en fus convaincu lorsque son ombre s’interposa entre moi et le soleil, créant une éclipse funèbre, qui me fit redoubler mes efforts.

Heureusement j’arrivais à mon but.

Je montais les escaliers de ma maison quatre à quatre et sans essayer d’ouvrir la porte je passais au travers du vitrail qui la ornait. C’est recouvert de morceaux de verre que je mis finalement les pieds dans mon bureau qui est situé au dernier étage, dans la tourelle. De la fenêtre je pus apercevoir les pattes verdâtres et destructrices de l’abomination que j’avais invoquée maladroitement.

J’ouvris le tiroir de mon secrétaire de noyer et pris mon revolver que je savais chargé de balles ordinaires. En effet j’utilise certaine balles spécialement fabriquées pour moi. Ces balles spéciales ont chacune leur utilité particulière contre certains éléments maléfiques telles les balles d’ail pour les vampires, les balles d’argent contre les percepteurs d’impôt, etc.

mais enfin... Je pris donc mon arme chargée au plomb, visai et tirai aussitôt. La balle entra par ma tempe droite, traversa mon cerveau et ressortit de l’autre côté pour finalement ricocher sur ma lampe de travail et se loger dans mon cœur...

Ma mort fut immédiate.


Opus Quatre !

Suite du 25 Octobre 1890,

Mon corps s’étendit de tout son long sur le sol poussiéreux ( vous ai-ie dit que ma bonne m’avait quitté ? ) avec un bruit sourd et macabre. Étant décédé je ne risquais plus de mourir. Cela faciliterait ma tâche quand à l’abomination. De toute façon cela faisait longtemps que je me disais que je serais plus utile à la société mort que vivant. Cela me permettrait maintenant de chasser les Choses de l’Ombre sur leur propre terrain.

J’entendis au dehors le fracas causé par l’œuvre destructrice de la bête. Il était temps que le spectre d’Atissak Brasley passe à l’offensive. Je me munis de mon attirail de détrousseur de monstres, attirail que je range dans un coffre de voyage qui me fût offert par un lycanthrope mélomane à qui j’avais fait don d’un Stadivarius ayant appartenu à un certain Wolf Gangmozart, J’y rangeais outre plusieurs costumes de voyage flambants neufs, une paire de chaussures vernies et quelques pièces de vêtements plus intimes ( que je m’abstiendrai de décrire ici vu l’effet de stupeur que cela pourrait causer à un lecteur peu affranchi ), et quelques outils indispensables à toute personne sensée qui veut se frotter le moindrement à l’inconnu.

Ce fut vers ces quelques outils que je me ruai laissant mon corps, dans une posture grotesque, regarder le motif usé du tapis. Je saisis donc ma montre d’éternité, mon chapeau haut de forme spécial, mon pendule, mon sachet de cuir et bien sûr mon pistolet et toutes les différentes munitions que je pus trouver.

C’est ainsi équipé que je ( ou du moins mon fantôme ) sortis affronter le pire Némésis que l’on puisse imaginer.

Cette fois je n’eu pas besoin de passer par la porte pour sortir de la maison. Étant du domaine des ombres maintenant, les frontières physiques m’importaient peu. Je passai donc au travers du mur de mon bureau en oubliant malheureusement que ce dernier se situait au troisième étage de ma maison. Que voulez-vous dans le feu de l’action même les plus grands hommes ont des distractions disgracieuses. Je fis une chute cyclopéenne sur le trottoir de bois fraîchement transformé en cure-dents par le titanesque lézard.

Me relevant légèrement abasourdi, je m’aperçut que mon ennemi avait déjà détruit la moitié de la basse ville. Légèrement irrité, je me dirigeais vers lui du pas sûr du spectre qui sait ce qu’il fait.

Je m’arrêtai à quelques mètres des pattes du léviatan. Concluant que l’un de nous deux était de trop dans cette ville je lui dis sur l’inspiration du moment: « Quoi d’neuf Docteur ? » Il se retourna, de la lenteur bien connu de ceux qui pèsent plus de trois tonnes, l’air lugubre. Le Goliath émit un rugissement qui fit trembler la terre jusque dans Charlevoix paraît-il.

J’avais réussis à le mettre en colère...


Opus Cinq !

Suite du 25 Octobre 1890,

J'avais décidément réussi à le mettre en colère. Je n'aurais jamais dû citer celle phrase maléfique qu'est "Quoi d'neuf Docteur?". Il est bien connu que les léviathans verdâtres n'apprécient guère l'humour. Je décidai donc sagement de ne pas lui laisser la chance de démontrer son aversion face à mon bon mot .Je ne recommande d'ailleurs à personne d'assister à une démonstration d'aversion, si minime soit-elle, de la part d'un reptile de plusieurs tonnes. Je pris donc l'initiative d'un combat de titans qui ferait sans doute rougir toutes la clique des déités grecques.

D'un geste héroïque je remontai d'un tour de main ma montre d'éternité. Ceux qui sont familiers avec ces petits chef-d’oeuvre d'horlogerie connaissent la sensation déroutante sinon étourdissante que procure l'acte de suspendre le cours normaI du temps. Je calculai rapidement que ce petit tour de passe passe me procurerait suffisamment de temps pour préparer un piège que l’abomination ne pourrait éviter. Profitant donc du fait que le temps était suspendu pour tout le monde sauf moi, je me rendis à la quincaillerie la plus proche.

Heureusement je connais bien mon quartier et je n’eu pas à perdre de temps à chercher. Je savais que la quincaillerie la plus proche était celle de certains Messieurs Roland et Napoléon. Je m’y procurai donc, en laissant de l’argent sur le comptoir car il ne sert à rein de combattre le mal si vous en faites partie, un râteau de taille moyenne. Je retournai dehors en bénissant le hasard que la quincaillerie ne faisait pas partie des nombreuses maisons détruites par la précédente crise du monstre présentement figé dans une posture grotesque mais néanmoins menaçante.

Je me positionnai face au gargantua écaillé. En cherchant dans la poche de ma cape je trouvai mon sachet de poudre de  perlinpinpin. Je plaçai le râteau au sol et saupoudrant l’outil généreusement de poudre blanche je récitai les mots magiques : « Les voi ciles voil`sgru jôetdé licat ». Je posai cet acte juste à temps car mon minutage vînt à échéance et la bête se remit en marche. Le râteau se mît à briller et à scintiller. Soudain un gros pouf retentit. Un pouf magique pour ceux qui ont l’oreille. L’outil avait maintenant des proportions cyclopéennes. Ma poudre avait fait effet.

Il ne me restait plus qu’à attendre que le monstre tombe dans le panneau.

Le léviathan s’avança vers moi dans l’espoir de m’écraser. Espoir qui ne se concrétisa jamais car, comme je l’avais prévu, il posa le pied sur le râteau. Ce dernier se redressa dans un mouvement que tous connaissent bien pour l’avoir expérimenté. Le géant vert reçu donc de plein fouet un grand coup de râteau dans le pif. Il s'effondra sans hésitation aucune. La bataille était finie. Une fois de plus David avait vaincu Goliath.

Une fois le monstre baba remis à la mer grâce à un certain  tour de force d’ingénierie, la ville retrouverait son calme et sa sérénité. Je me résolut donc à retourner chez moi pour reprendre possession de mon corps qui devait commencer à embaumer la maison de ses odeurs. Ce n'est pas que je détesterais demeurer spectre mais voyez -vous après un certain temps un spectre fini par disparaître et le fait de non-exister nuit sensiblement à vos activités régulières. Me retournant je tombais face à face avec mon mendiant   accordéoniste qui avait malencontreusement chanté la phrase maudite ayant appelé la bête. Il me regardait d’un drôle d'air. J’eu beau tenter de lui parler il ne fît rien que de me suivre jusque chez moi, l'air abasourdi et la bouche ouverte. Une fois que j'ai eu réintégré mon corps il finit par émettre un faible « Qui êtes-vous ? »

Je lui répondit: « Brasley, Atsissak Brasley. Détrousseur de Monstres, pour vous servir. »

C’ est ce moment que choisit le grand Satan pour envahir mon grenier

À suivre...

 

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Louis de Funes

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