LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES

NUMÉRO 133


par Jean-François Berreville

UN BRILLANT CINÉASTE INDÉPENDANT

Le cinéaste indépendant Larry Cohen a disparu le 23 mars 2019 à l'âge de 82 ans. Né le 15 juillet 1936 à New-York dans l’Île de Manhattan, il avait débuté jeune dans le cinéma en parvenant à vendre ses premiers scénarios. Il en a d'ailleurs écrit trois ingénieux pour la fameuse série Columbo. Dans Quand le vin est tiré (Any Old port in the Storm) réalisé par Jeannot Szwarc en 1973 (Les Insectes de feu, Les dents de la mer 2), un producteur de vin, Adrian Carsini (Donald Pleasence), qui a causé dans sa cave la mort de son frère, prêt à rompre avec son exigence de qualité pour le domaine viticole, s'efforce de la maquiller en accident de plongée. Dans Candidat au crime (Candidate for Crime) de Boris Sagal, un candidat au sénat, Nelson Hayward (Jackie Cooper), assassine son conseiller, qui voulait pour son image l'obliger à rompre avec sa maîtresse, en faisant croire qu'on l'a tué à sa place par erreur en arguant des fausses menaces créées par les deux hommes pour attirer l'attention sur sa campagne électorale ; comme dans l'affaire précédente, c'est la position de véhicules qui engendrera les premiers doutes de l'inspecteur incarné par Peter Falk. Dans le dernier datant de 1974, Exercice fatal (An Exercise in Fatality), mis en scène par Bernard L. Kowalski (Attack of the Giant Leeches, Night of the Blood Beast, Ssssss le cobra), Milo Janus joué par Robert Conrad (la vedette de la série Les mystères de l'Ouest), un propriétaire de salles de sport, assassine un de ses associés qui a découvert sa fraude fiscale en simulant un accident de musculation dans la salle de sport et en se forgeant un alibi avec une fausse conversation téléphonique utilisant une bande magnétique. L'assassinat décrit est si machiavélique qu'une femme s'en est inspirée pour éliminer avec l'aide de son amant son mari après lui avait offert quelques mois plus tôt un appareil de musculation avec les plus sinistres intentions ; les policiers chargés de l'enquête s'étant souvenus de l'épisode de Columbo ont décidé de faire autopsier le corps juste quelques minutes avant qu'il ne soit incinéré, découvrant in extremis l'odieuse manigance.

Larry Cohen est plus particulièrement connu pour avoir créé la célèbre série télévisée Les Envahisseurs dans les années 1960, même si celle-là n'a connu que deux saisons, dont tout le monde à au moins entendu parler avec le personnage récurrent de David Vincent incarné par Roy Thinnes, acteur au regard bleu pénétrant et inquiet, qui, selon la fameuse introduction servie par la terrifiante musique de Dominic Frontier, alors que, conduisant une nuit sur une route perdue, il recherchait "un raccourci que jamais il ne trouva", il aperçut une soucoupe volante et comprit que des extraterrestres avaient pris pied sur notre planète en vue de la transformer à leur avantage (l'épisode "Genèse" laisse entendre qu'il s'agit d'êtres aquatiques), et qu'ils avaient commencé à infiltrer sous leur trompeuse apparence humaine les institutions afin de mettre en œuvre leur plan. Le héros n'a de cesse de démasquer tous les Envahisseurs, les mettant localement en échec, tout en tentant désespérément tel Cassandre de "convaincre un monde incrédule que le Cauchemar a déjà commencé", ce qui s'avère fort difficile étant donné qu'une fois leur manigance éventée, les extraterrestres font disparaître toute trace de leur implantation, et que lorsqu'ils sont mortellement touchés, leur corps se désintègre aussitôt, tout comme d'ailleurs les êtres humains frappé par leur arme au rayon désintégrateur.


Le jeu du chat et de la souris auquel se livrent David Vincent (Roy Thinnes) et les Envahisseurs.

Leur contrefaçon humaine est si réussie que rien ne distingue ces faux citoyens des habitants des États-Unis autre que la raideur anormale de leur petit doigt. Contrairement à ce que l'on dit ou écrit souvent, les Envahisseurs ne ressemblent effectivement en rien à des êtres humains, mais leur véritable apparence n'est suggérée que très fugitivement dans l'épisode Genèse (Genesis) précité dans lequel un policier, le sergent Hal Corman (interprété par Phillip Pine, qui avait incarné en 1955 George Thomas, l'assistant du Professeur King créateur d'un monstre radioactif dans The Phantom from 10.000 leagues de Dan Milner), amené à contrôler le coffre d'une voiture, était sous le choc après y avoir aperçu une créature étrangère. Amené à investiguer dans un laboratoire de recherches océaniques dans lequel était conçue une forme de vie synthétique pluricellulaire primitive, à mi-chemin de l'éponge et du placozoaire Trichoplax avec ses corps réfringents (évoqué sommairement dans l'article de septembre 2014*), David Vincent découvrait que l'institut servait de couverture à la régénération dans un bassin des envahisseurs perdant leur conformation humaine. L'être à la peau rêche, ayant la silhouette d'une sirène au corps ramassé et une très large tête bilobée, était à peine entrevu en contre-jour avant de devenir une forme plasmatique retrouvant peu à peu des contours humanoïdes, jusqu'au moment où David Vincent interrompait le processus.

(*https://creatures-imagination.blogspot.com/2014/09/un-fossile-vivant-vraiment-inattendu.html)


Le Sergent Corman terrorisé par ce qu'il aperçoit dans le coffre d'un véhicule, sur le point d'être réduit provisoirement au silence au début de l'épisode Genèse. La création d'un organisme synthétique rudimentaire dans un aquarium sert de couverture à un centre de régénération des Envahisseurs.


L'organisme extraterrestre reprend forme humaine dans le laboratoire (photos extraite de l'article en anglais détaillant le scénario de l'épisode pouvant être lu à cette adresse :  http://theinvadersincolor.blogspot.com/2017/02/episode-4-genesis-2767.html)

Un autre épisode, Les spores (The Spores) dans lequel Gene Hackman incarne un envahisseur, rapprochait les Envahisseurs de formes plus végétatives, à la manière de L'Invasion des profanateurs de sépultures. Un petit garçon avait trouvé dans une valise des formes ovoïdes pourvues d'un pied, qui bougeaient légèrement, et David Vincent finissait par mettre le feu à une serre dans laquelle les organismes avaient poussé en pleine terre et commencé à prendre vaguement l'allure de bustes humanoïdes. Il faut bien avouer que les origines et le processus de métamorphose en humain étaient fort éloignés entre les deux épisodes, le peu d'informations délivrées laissant le reste à l'imagination des téléspectateurs.


Les formes germinatives de l'épisode Les spores, de leur stade latent dans l'attaché-case à leur croissance dans leur terreau au sein d'une serre, incendiée par David Vincent.

Une dernière occurrence relative à l'état évolutif des Envahisseurs pouvait être trouvée dans l'épisode L'ennemi (The Enemy) qui n'apprenait cependant rien sur la manière par laquelle les créatures venues de l'espace adoptaient un aspect humain, mais qui était particulièrement intense. L'acteur Richard Anderson, qui fut l’interprète principal du petit film d'épouvante Curse of the Faceless Man en 1958 (une momie de Pompéi revient à la vie et tue) après être apparu deux ans plus tôt dans Planète interdite, et qui est surtout connu des téléspectateurs des années 1970 pour son rôle d’Oscar Goldman, le supérieur des héros bioniques de L’Homme qui valait trois milliards et de Super Jaimie, incarne avec beaucoup de présence Blake, un Envahisseur dont l'état devient instable, de telle sorte que ses traits finissent par se brouiller et la peau de son visage donner l'impression qu'elle s'apprête à fondre. Entre-temps, il sollicite l'aide d'une infirmière (Gale Frazer interprétée par Barbara Barrie) qui, ayant connu les horreurs de la Guerre du Vietnam, est devenue pacifiste comme la veuve américaine du film japonais Goke, Body snatchers from Hell, Mme Neal (Kathy Horan), et s'empresse de se porter à son secours en dépit des avertissements de David Vincent. Trouvant ainsi une brève rémission, l'inconnu ne tarde pas à confirmer les craintes de ce dernier, mais la dégradation de son état reprend et dans un ultime moment de lucidité, constatant au fond de la grotte dans laquelle il s'est réfugié que ses congénères auxquels il n'est plus utile l'abandonnent à son triste sort, il décide in extremis de se retourner contre eux et de sauver la vie de Vincent, la tension qui n'a jamais faibli au cours de l'épisode aboutissant ainsi à ce dénouement s'autant plus marquant qu'il est plutôt inattendu.


David Vincent échoue à faire changer d'avis une infirmière pacifiste dont les idéaux mettent en danger leur vie, mais il sera finalement épargné lors d'un soudain retournement de situation à la fin de l'épisode L'ennemi.

Au cours de son combat, David Vincent trouvera ponctuellement quelques alliés relayant son combat et côtoiera différents milieux tel qu'une communauté évangélique dans Le miracle (The Miracle) dont le climat préfigure assez celui évoqué dans un épisode d'Aux frontières du réel (X-Files) des décennies plus tard, L'église des miracles (Miracle Man) avec son évangéliste guérisseur. Comme dans les séries similaires, des acteurs reconnus apparaissent à l'occasion d'un épisode, comme Dana Wynter qui avait déjà partagé la vedette d'un classique de la science-fiction paranoïaque dans L'Invasion des profanateurs de sépultures aux côté de Kevin McCarthy, ce dernier figurant lui-même dans l'épisode Les espions (The watchers) dans lequel il est remplacé par un double.


Kent Smith aux allures de l'ancien premier ministre français et président de l'Assemblée nationale Jacques Chaban-Delmas interprète John Scoville, gagné à la cause de David Vincent, qui apparaît dans 13 des 43 épisodes, le dernier s'achevant avec la promesse du héros et de son allié de former un groupe armé pour lutter contre les Envahisseurs.

Les Envahisseurs, qui n'ont engendré qu'un téléfilm assez décevant avec Scott Bakula dans lequel Roy Thinnes faisait une courte apparition - il est aussi à l'occasion apparu dans Aux frontières du réel (X-Files) - demeure une des séries de science-fiction les plus célèbres.

Larry Cohen monta sa propre compagnie de production, Larco production, contraction de son prénom et de son nom, lui permettant de produire ses films de manière indépendante et plusieurs se situent dans l'univers fantastique, mettant en scène des êtres monstrueux. Il fait en 1974 une entrée fracassante dans le cinéma d'épouvante avec Le monstre est vivant (It's Alive), dans lequel un accouchement vire à l'horreur sanglante lorsque paraît un nouveau né effrayant doté de griffes et de dents pointues, créé par le maquilleur Rick Baker, qui décime l'équipe médicale avant de s'enfuir. Le réalisateur parvient à conserver tout au long du film un climat dérangeant, mettant le spectateur mal à l'aise, alors que la traque du phénomène s'organise, celui-là étant recherché par la police tandis que les représentants du groupe pharmaceutique dont le produit contraceptif pris durant sept ans par la génitrice a causé les malformations - comme le laboratoire Grünenthal qui avait laissé la thalidomide être commercialisé en dépit des alertes - aimerait bien que l'être soit trouvé et détruit pour dissimuler leur responsabilité. La créature finit par accéder au domicile de la mère, Lenora Davis (Sharon Farrell), qui prend pitié de celui auquel elle a donné la vie et qui vient néanmoins de décimer le voisinage. Le père, Frank Davis (John Ryan, qui sera l’impitoyable directeur de prison Ranken dans Runaway Train), ne fait pas preuve de la même compréhension et tire sur l'effrayant rejeton. La police retrouve finalement le monstre près d' une sortie d'égout et s'apprête à l'abattre lorsqu'en l'approchant, le père découvre qu'il est surtout terrifié et se trouve soudain pris de compassion pour sa progéniture, sans pouvoir la protéger.


Un heureux évènement qui ne tient pas se promesses dans Le monstre est vivant.


Le final du Monstre est vivant et l'acceptation trop tardive d'une paternité hors-norme.


Larry Cohen et la vedette irascible du Monstre est vivant.

Meurtres sous contrôle (Gold told to me) réalisé deux ans plus tard débute comme un terrifiant film policier, alors que des tireurs abattent des cibles au hasard. Le policier Peter J. Nicholas (Tony Lo Bianco), un chrétien marié ayant une liaison avec une jeune maîtresse et vivant mal ses contradictions, finit à l'issue d'une enquête éprouvante par remonter jusqu'à l'instigateur des meurtres, un gourou nommé Bernard Philips (Richard Lynch) qui réclame des assassinats gratuits comme preuve d'obéissance et qui se dit né d'une femme enlevée par des extraterrestres. Il lui montre un orifice matriciel sur son ventre et, lui révélant que lui aussi a été conçu par les créatures de l'espace, expliquant par le secret de ses origines ses questionnements sur son identité, lui indique qu'il est en état de procréer avec lui et demande qu'ils conçoivent un enfant ensemble afin de fonder une nouvelle génération associant l'humain à la fraction extraterrestre. Le policier refuse et le tue non sans que le gourou ait usé de son pouvoir pour embraser l'immeuble avant de succomber. Le policier en réchappe et est curieusement mis en examen pour meurtre suite à l'incendie, avouant ironiquement qu'il a tué Philips parce que "Dieu lui a ordonné", la phrase prononcée par les séides de celui qui se prenait pour l'être suprême. A noter que par mesure d'économie, Larry Cohen a utilisé pour figurer l'enlèvement extraterrestre une courte séquence empruntée à la série Cosmos 1999.


Le policier chargé dans Meurtres sous contrôle de remonter jusqu'au commanditaire des assassinats découvre que celui-ci est son frère ennemi, qui lui adressera la demande incestueuse la plus surprenante qui soit.

En 1979, la même année que David Cronenberg qui met à son tour en scène des enfants monstrueux dans Chromosome 3 (The Brood), Larry Cohen donne une suite au Monstre est vivant avec Les monstres sont toujours vivants (It's Lives Again) à la hauteur de l'original. Alors qu'un nouveau couple, Eugene et Jody Scott (Frederic Forrest et Kathleen Lloyd)  s'apprête à son tour à donner la vie à une descendance monstrueuse, Frank Davis, toujours interprété par John Ryan, réapparaît et tente de le convaincre de protéger l'enfant que les autorités veulent détruire, lui assurant qu'il ne demande que de l'affection, alors qu'est évoquée la possibilité que ces altérations puissent représenter une mutation en rapport avec un environnement toujours plus pollué. Les scènes angoissantes alternent là aussi avec une interrogation éthique sur la légitimité de l'avortement, anticipant d'une certaine manière certains films de Brian Yuzna comme Progeny, l'enfant du futur.

Les difficultés familiales, déjà évoquées dans Meurtres sous contrôle, qui surgissent face aux épreuves que génèrent les enfants effrayants du Monstre est vivant et de sa suite, sont au cœur d’Épouvante sur New York (Q the Winged Serpent), avec le personnage de Jimmy Quint (Michael Moriarty) qui maltraite sa compagne. Le metteur en scène a peut-être eu tort de faire tourner trop ostensiblement l'intrigue autour de ce personnage falot et déplaisant, qui joue au caïd colérique avec ceux qui le craignent mais se montre d'une totale lâcheté avec les membres de la pègre au service de laquelle il œuvre. De la sorte se trouve un peu reléguée au second plan l'irruption d'une énorme créature volante mythique, le dieu aztèque Quetzalcoalt (déjà mis en scène dans un petit film de 1946, The Flying Serpent de Sam Newfield avec George Zucco) et son adoration par les adeptes d'un culte effrayant transporté d'Amérique du sud jusqu'à New-York. Les apparitions de la créature sont impressionnantes, la qualité de la texture de la peau (au point que la taille du modèle à petite échelle n'est en rien révélée par l'irruption de sa tête lorsque David Carradine qui joue l'inspecteur Sheppard la traquant surgit derrière lui - le projet d'une tête grandeur nature sculptée par Steve Neill a été abandonné) et l'incrustation à l'image du modèle animé par David Allen par Peter Kuran absolument parfaite, sans la moindre trace de contour, en font le dragon le plus réaliste de toute l'histoire du cinéma avec celui du Dragon du lac de feu. Quand à l'éclosion de son rejeton sur la tour, secret qui permet à l'interlope Quint de monnayer à prix fort l'information à la police, elle annonce celle du bébé vélociraptor de Jurassic Park conçu par le studio de Stan Winston. Il est seulement un peu regrettable que le film n'ait pas été un peu plus resserré en maintenant un meilleur d'équilibre entre les scènes mettant au premier plan le malfaiteur et celles relatives à l'enquête et à la recherche de l'effrayante créature.


L'assez méprisable Quinn (Michael Moriarty) découvre par hasard l'antre du monstre, il y voit l'opportunité d'améliorer sa situation financière en monnayant l'information auprès des autorités désireuses de mettre fin au péril dans Épouvante sur New York.


La tête miniature incroyablement réaliste de Quetzalcoalt combinée avec l'image de l'acteur David Carradine, incarnant l'inspecteur Sheppard, dont la recherche de la créature touche à son but.

C'est un monstre bien différent qui décime en 1985 les populations dans The Stuff, une créature d'un très lointain passé à laquelle la modernité assure une horrible postérité. Des industriels commercialisent une forme de vie primitive découverte sous terre sous la forme d'un dessert dont les mérites sont intensivement vantés par les publicitaires au point d'alimenter une mode à laquelle il est difficile de se soustraire. Dans cette satire acide de la société de consommation, dans laquelle un ton humoristique alterne avec des séquences d'épouvante, le consommateur se trouve à son tour consommé par l'organisme d'allure protoplasmique. Le début du film évoque quelque peu L'Invasion des profanateurs de sépultures, avec la famille qui commence par être asservie par l'accoutumance qui investit le cerveau, contraignant chacun des membres à se comporter exactement comme les autres, avant d'être totalement digérée. Certaines de ces dissolutions se produisent à l'écran, agencées par Steve Neill, tandis que la forme de vie proliférante finit par atteindre d'impressionnantes proportions, au travers des effets de David Allen, telle une sorte de "Blob" sirupeux et lacté. Quelques courageux, dont David Rutherford, espion industriel envoyé par la concurrence et ancien agent de l’État fédéral (Michael Moriarty), une journaliste (Andrea Marcovicci) et un ancien général séditieux (Paul Sorvino) tenteront de sauver leur pays du péril avant de confronter les industriels à leurs responsabilités alors qu'ils étaient prêts à commercialiser une nouvelle formule à l'issue de la catastrophe, exactement comme quelques années plus tard, les ravages de l'encéphalopathie spongiforme, épidémie ayant débuté l'année du film à l'insu du public, n'avaient pas dissuadé le lobby agro-alimentaire de songer à réutiliser les "farines bovines" dans l'alimentation du bétail en les chauffant un peu plus, alors que le président d'un groupe parlementaire, pourtant médecin, niait le danger en affirmant que "la viande française était la meilleure du monde" bien que le sort d'animaux de zoos en Angleterre avait prouvé la transmissibilité du mal entre espèces différentes (lequel récidiverait plus tard une fois devenu président de l'Assemblée nationale en influant sur ses collègues pour repousser les dispositions du Grenelle de l'environnement de sa propre majorité puis inciter son candidat à la présidentielle de 2017 à prôner l'abandon du principe de précaution pourtant insuffisamment appliqué comme en témoignent régulièrement des drames tel que la naissance de bébés avec un bras manquant probablement contaminés par des produits chimiques infiltrés dans l'eau).


Le site d'extraction de The Stuff, encadré de camions prêts à acheminer la mystérieuse substance.


 Rutherford cherche à découvrir ce qui se cache derrière l'emballement pour le "Stuff".


Un consumérisme qui impose sa pression jusqu'au sein du cadre familial.


Une victime d'un échantillon de la créature ayant atteint d'inquiétantes proportions.


Les principaux interprètes de The Stuff au complet, de gauche à droite, Andrea Marcovicci (Nicole), Scott Bloom (Jason, le garçonnet qui a vu périr sa famille amatrice du dessert à la mode), Michael Moriarty (David Rutherford), Paul Sorvino (le Colonel Malcolm Spears) et Garrett Morris (le malicieux Charlie Hobbs, qui trouvera une mort effroyable au travers des trucages de Steve Neill).


Larry Cohen et un des pots renfermant l'effroyable dessert de The Stuff.

En 1987, Larry Cohen donne un dernier volet à sa trilogie débutée avec Le monstre est vivant avec La Vengeance des monstres (It's Alive III : Island of the Alive). Une expédition scientifique est montée pour étudier de quelle manière ont évolué les enfants anormaux, laissés livrés à eux-mêmes sur une île isolée. Jarvis (Michael Moriarty) qui se lance dans un vibrant plaidoyer en leur faveur au nom du respect de leur différence obtient d'être du voyage. Devenus entre-temps adolescents, les monstres qui n'ont rien perdu de leur sauvagerie déciment rapidement les explorateurs, seul Jarvis parvenant à survivre. Les créatures regagnent la civilisation et commencent à massacrer des violeurs sur une plage avant d'être abattus par la police. Son épouse Ellen (Karen Black) prend soin de la progéniture de l'un d'eux, celle-ci n'étant autre que son petit-fils. Le film, correctement réalisé, n'apporte cependant rien de réellement significatif aux deux films précédents.

Une autre communauté monstrueuse plus structurée est au centre des Enfants de Salem (A Return to Salem's Lot), suite notable donnée par le réalisateur au film original de Tobe Hooper tiré du roman de Stephen King. Une bande de vampires s'est organisée, restreignant son nombre de victimes et usant d'humains comme de drones pour leur permettre de maintenir un semblant d'activité diurne. Un anthropologue, Joe Weber (Michael Moriarty), venu avec son jeune fils, retrouve en son sein une camarade d'école qui le séduit, tandis que le responsable qui a épargné les deux visiteurs, le Juge Axel (Andrew Duggan), lui demande de contribuer à réhabiliter leur image. L'arrivée d'un chasseur de Nazis, Van Meer (Samuel Fuller, réalisateur que Cohen tenait pour un inspirateur et dont il a habité une ancienne demeure), bien décidé à user de méthodes expéditives contre les suceurs de sang, et qui apparaît immortel sans explication (c'est aussi le cas pour un soldat dans Zone Troopers) l'incite à choisir enfin son camp et à éradiquer avec lui la communauté maléfique. Les Enfants de Salem est probablement le meilleur film sur la communauté vampirique avec Aux frontières de l'aube (Near Dark) de Kathryn Bigelow. Le réalisateur rapporte le thème des vampires au communautarisme libéral américain au travers de la réalité sociale dont il gratifie ces créatures.


Joe Weber sous la coupe de l'inquiétant Juge Axel qui retient son fils dans Les Enfants de Salem.

Le créateur de la série Les Envahisseurs avait aussi pris part à la plus fameuse série de films paranoïaques en apportant sa contribution à l'élaboration du scénario du second remake de L'invasion des profanateurs de sépultures, Body Snatchers réalisé en 1993 par Abel Ferrara qui communique directement au spectateur le climat de suspicion et d'angoisse qui s'empare d'une base militaire investie par les imposteurs extraterrestres.

Larry Cohen a par ailleurs réalisé deux comédies fantastiques, Full Moon High en 1981, sur un joueur de rugby changé en loup-garou (son agression évoque plus une scène de La Cage aux folles que celle du Loup-garou de Londres) émoustillant les filles et Ma belle-mère est une sorcière (Wicked Stepmother) en 1989 qui ont été moins prisées par la critique.

Le metteur en scène a également réalisé des thrillers. L'ambulance (The Ambulance) en 1990 relate la tentative d'un jeune homme, Joshua Baker (Eric Roberts), de retrouver une jeune fille qui a mystérieusement disparu, Cheryl (Janine Turner), enlevée par un médecin (Eric Braeden, acteur de soap opéra aussi apparu dans Le cerveau d'acier et Les évadés de la Planète des singes) qui fait des expériences au nom de l'éradication du diabète au détriment de la vie de ses cobayes, incarnant une médecine glaciale tel son devancier de Morts suspectes (Coma) de Michael Crichton interprété par Richard Widmark. Il fut en 2002 le scénariste du film Phone Game réalisé par Joel Schumacher. La dernière réalisation de Larry Cohen fut sa participation, à l'instar des autres réalisateurs réputés de l'épouvante, à la série anthologique Masters of horror, mettant en scène l'horrifiant épisode Pick Me Up, dépeignant l'atroce compétition à laquelle se livrent deux tueurs en série, un chauffeur routier et un auto-stoppeur.

Certaines de ses créations ne sont pas totalement exemptes d’ambiguïté. Ainsi, Larry Cohen qui a consacré en 1977 un film à l'assez sulfureux et très anticommuniste patron du FBI J. Edgar Hoover, The Private Files of J Edgar Hoover, a déclaré que sa série Les envahisseurs exprimait son aversion du maccarthysme, mouvement de dénonciation des ennemis des États-Unis initié par un anticommuniste encore plus virulent, le sénateur Joseph McCarthy. Cependant, le personnage de David Vincent n'est jamais ridicule dans son combat, incarné par Roy Thinnes très imprégné de son rôle et il finit toujours par découvrir des traces du complot qu'il cherche à mettre en évidence, de telle sorte que la série pourrait presque illustrer métaphoriquement le contraire de ce que veut dénoncer le héros. On retrouve une autre ambiguïté, plus explicite, dans La Vengeance des monstres, le plaidoyer de Jarvis pour ces êtres incompris étant démenti par les agissements des mutants qui ne se conduisent que comme des bêtes féroces - ambivalence qu'on retrouvera dans deux épisodes d'Au-delà du réel, l'aventure continue (The New Outer Limits), Sélection pas très naturelle (Unnatural Selection) qui trouve un prolongement dans l'ultérieur Nature criminelle (Criminal Nature) et qui constituent en quelque sorte comme un approfondissement du film de Cohen. Les vampires des Enfants de Salem sont aussi présentés de manière un peu équivoque comme étant partiellement humains malgré leur monstruosité, le personnage principal faisant même un certain temps abstraction de la nature de son ancienne camarade de classe pour entreprendre avec elle une relation sentimentale et intime - même si le prologue a montré que dans le cadre de ses missions ethnologiques, il faisait preuve de peu d'état d'âme, semblant ne pas se formaliser de la pratique de sacrifices humains dans certaines tribus, annonçant celui que les vampires perpètrent sur leurs victimes. Il est vrai que de la même manière, David Cronenberg a déclaré que son film Frissons (Parasite Murders/They came from within/Shivers) était un plaidoyer pour la libération sexuelle alors même que tout le signifiant du film, images scabreuses, savant fou dépassé par ses expérimentations, le Dr Hobbes (Fred Doerderlin), tuant son cobaye, Annabelle Bataille (Cathy Graham), en tentant de restaurer sa condition initiale, et épilogue accompagnée d'une musique mélancolique, suggère une tragédie en cours conduisant à la déshumanisation. Plus anecdotiquement, Irvin Kershner avait affirmé vouloir dénoncer la violence gratuite dans Robocop 2, dont il fit pourtant à cette occasion un étalage complaisant.


David Vincent, un esprit perspicace et obstiné, qui démantèle sans relâche les réseaux de comploteurs, semblant valider un péril qui renvoie le spectateur à la peur d'une conspiration communiste comme évoqué dans It conquered the world de Roger Corman et plus explicitement dans Tobor the great, en dépit des intentions affichées par le metteur en scène.

Certaines éléments des films de Larry Cohen prennent parfois une dimension prophétique. Ainsi, Meurtres sous contrôle anticipe le mélange sulfureux entre les thèmes des extraterrestres et de la religion qu'on retrouvera dans des sectes comme Heaven's Gate et le mouvement des Raëliens, sans oublier l'obéissance totale à un gourou qui s'incarne à travers le massacre collectif de la secte Guyana du Révérend Jim Jones, puis plus récemment les crimes de masse islamistes avec la violence aveugle ordonnée par les prêcheurs. Sur le même sujet, Épouvante sur New York préfigure visuellement les attentats du 11 septembre 2001 avec ce sang et ces morceaux de corps qui tombent des gratte-ciels, puis avec ce plan montrant le corps d'un fanatique d'une religion non-européenne qui s'est sacrifié qu'un travelling associe au World Trade Center en arrière-fond. The Stuff est quant à lui une véritable prophétie sur la crise de la vache folle et la folie consumériste, dénonçant la duplicité criminelle des lobbys agro-alimentaires ; il n' y manque que la compromission des hommes politiques, ministres anglais et français de l'agriculture ainsi que commission européenne qui auront préféré privilégier l'économie à court terme sur la santé publique.


Des tueurs fanatisés perpétrant des assassinats de masse et prêts à mettre fin à leur propre vie dans Meurtres sous contrôle, annonçant une soumission totale à des imprécateurs religieux observée depuis la fin des années 1970.


Un des principaux responsables de la production du "Stuff" admirant son produit si rentable, Fletcher (Patrick O'Neal, qui incarnait le directeur du programme d'élimination des épouses insoumises remplacées par de dociles androïdes à leur image dans Les Femmes de Stepford). Dans l'épilogue, le petit Jason contraindra les industriels à goûter leur propre produit puisqu'ils prétendent qu'il n'est pas dangereux, ce qu'ils s'efforcent de refuser, comme les salariés de Monsanto ayant obtenu qu'on ne serve pas de produits transgénique dans leur cantine.

On peut relever que certains éléments des films de Larry Cohen annoncent des films de Cronenberg. On retrouve ainsi le thèmes d'enfants anormaux terrifiants, terrorisant une famille et s'introduisant à l'occasion dans une école, dans Le monstre est vivant et Chromosome 3, la violence dans le cadre familial entre conjoints dans Épouvante sur New-York et entre mère et fille dans Chromosome 3, l'affrontement entre frères dotés de pouvoirs extraordinaires dans Meurtres sous contrôle et Scanners, la matrice abdominale présente sur le ventre d'un homme, procréatif dans Meurtres sous contrôle et plus symbolique dans Vidéodrome, sans oublier l'utérus externe qui s'est développé sur le corps de la génitrice de Chromosome 3, ou encore l'infiltration d'organismes dans le corps humain engendrant un comportement social normatif dans Frissons, puis The Stuff. A la différence de Cronenberg qui confiait à des interprètes différents le soin d'interpréter ses personnages principaux (alors que dans des rôles secondaires, il a mis en scène cinq fois Robert A. Silverman et deux fois Joe Silver), Larry Cohen a fait de Michael Moriarty son acteur récurrent dans Épouvante sur New-York, The Stuff, La Vengeance des monstres et Les Enfants de Salem.

Larry Cohen entouré de bébés monstrueux terrorisant les familles dans Le monstre est vivant et sa suite, et au premier plan, un autre nouveau nouveau né, celui procréé par une créature mythique qui tente de s'extraire de son œuf à la fin d' Épouvante sur New York

La disparition du réalisateur ne lui aura pas permis de mener à bien son projet de nouvelle version de sa série Les Envahisseurs, laquelle aurait sans doute été meilleure que le téléfilm avec Scott Bakula s'en inspirant, Le retour des envahisseurs de Paul Shapiro en 1995, dans lequel Roy Thinnes faisait une petite apparition. Il aurait été fort appréciable de pouvoir obtenir des approfondissements sur certains points de son oeuvre auprès de Larry Cohen, mais celui-ci n'a jamais donné suite aux différentes demandes souhaitant sa participation à différentes évocations de ses films, de ce fait réalisées sans son aide tel le présent aperçu de sa carrière. Il demeurera néanmoins comme un brillant réalisateur indépendant ayant apporté sa touche personnelle au cinéma fantastique.


Larry Cohen entouré des figures cauchemardesques d’Épouvante sur New York, en haut à gauche, d'une victime phagocytée sur l'affiche de The Stuff, et à droite le nouveau né monstrueux du Monstre est vivant.

Jean-François Berreville

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