LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES

NUMÉRO 122


par Jean-François Berreville

 UNE CARRIÈRE SOUS LE SIGNE DU MASSACRE

Après Wes Craven, puis tout récemment George Romero évoqué précédemment, c’est la troisième figure du cinéma américain spécifiquement associée à l’horreur, Tobe Hooper, qui vient de s’éteindre, le 26 août 2017, laissant seuls subsister les deux grands maîtres du cinéma fantastique récent, John Carpenter et David Cronenberg.

Le cinéaste américain né le 25 janvier 1943 à Austin, au Texas, restera principalement dans la mémoire collective comme le réalisateur d’un seul film, Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre), parfois classé à tort dans les films fantastiques, puisqu’il ne comporte aucun élément de nature surnaturelle. Il s’inspire au contraire lointainement d’un sinistre fait divers, le parcours d’un tueur en série de femmes nommé Ed Gein, qui se constitua un costume à partir de morceaux prélevés sur les corps de ses victimes, et on rapporte qu’il inspira aussi deux autres films célèbres, Psychose (Psycho) d’Alfred Hitchcock et, au travers de l’adaptation du roman de Thomas Harris, Le Silence des agneaux (The Silence of the Lambs) de Jonathan Demme. Son intérêt pour le sinistre personnage avait été initiée par un médecin qui lui confia qu’étudiant, il s’était confectionné un masque d’Halloween à partir de la peau du visage d’un pensionnaire de la morgue. Il mit donc en scène en 1974 les exactions d’un groupe d’individus dégénérés, anciens ouvriers d’abattoir, qui décident d’appliquer leur savoir-faire de la découpe sur des congénères vivants, et dont l’un des membres surnommé "Leatherface" ("Face de cuir") revêt un masque fait de peau humaine. Le film fut interdit aux moins de 18 ans non pas en raison d’un contenu sanglant explicite, le film ne relevant pas du "gore" auquel on l’associe parfois, mais du caractère insoutenable sourdant des scènes de terreur. À l’occasion de la sortie d’un remake, les producteurs cultivèrent d’ailleurs le caractère scandaleux du film jusqu’à indiquer un peu fallacieusement sur l’affiche « tiré d’une histoire vraie », l’allégation que les cruautés sur lesquelles repose le spectacle étant censée le rendre encore plus excitant. Il est intéressant de relever qu’alors que certains metteurs en scène considérés comme "réactionnaires" se sont attachés à dépeindre, même s’ils n’en ont pas le monopole, la violence dans les grandes villes, comme Michael Winner dans sa série Le Justicier dans la Ville (The Vigilant) mettant en vedette Charles Bronson en supplétif d’une police impuissante ou George Pan Cosmatos dans Cobra, dans lequel Sylvester Stallone, préfigurant le personnage analogue qu’il interprétera dans Demolition Man de Marco Brambilla, incarne un policier qui affirme qu’il ne peut mettre hors d’état de nuire les pires criminels qui y font régner leur loi qu’en recourant à des méthodes radicales, des réalisateurs considérés comme « progressistes » ont au contraire choisi de représenter le monde rural comme le foyer du crime, où sévissent des êtres frustres, déculturés, issus de la consanguinité, dans la lignée de Délivrance de John Boorman, tels Tobe Hooper (avec aussi dans une certaine mesure Les Vampires de Salem) et Wes Craven avec des films comme La dernière maison sur la gauche (The Last House on the left) et son dyptique La colline a des yeux (Hills have eyes) et sa suite.

Le choc créé par le film incite le studio Universal, qui a fait signer au réalisateur et à son scénariste Kim Henkel un partenariat, a lui confier un projet ambitieux dont le producteur Ned Tannen vient d’acquérir les droits, une nouvelle adaptation, plus fidèle que La Chose d’un autre monde, de la novella de John Campbell, La Bête d’un autre monde (Who goes here?). Les deux hommes se consacrent au sujet pendant 18 mois, désireux d’appliquer la méthode éprouvée de Massacre à la tronçonneuse à l’histoire, en la faisant reposer sur des poursuites, des scènes spectaculaires dans la neige avec des avalanches, des explosions, et instaurant l’entité extraterrestre comme une bête puissante et féroce à la manière du cachalot de Moby Dick auquel doit se mesurer le héros. Leur traitement n’emporte finalement pas l’adhésion, et le producteur Stuart Cohen indiquera des années plus tard que la version des deux hommes s’éloignait vraiment trop pour lui du texte originel qu’avec son partenaire David Foster ils souhaitaient voir transposé à l’écran. Le réalisateur et le scénariste se montrent pour leur part peu empressés à reprendre leur travail, estimant y avoir consacré suffisamment de leur temps. Les parties se séparent d’un commun accord.

Les films suivants de Tobe Hooper se situent dans la même veine de l’atroce avec Le crocodile de la mort (Eaten Alive) en 1977, dans lequel un aubergiste sadique livre ses clients à un crocodile vivant dans sa cave, réunissant une partie de la distribution du film qui l’a fait connaître, et Massacre dans le train fantôme (The Funhouse), en 1981, pour Universal. Il a aussi l’occasion d’adapter pour la télévision sous forme d’une mini-série de deux épisodes totalisant une durée de trois heures Les Vampires de Salem (Salem’s Lot) de Stephen King, dans lequel Ben Mears interprété par David Soul (célèbre pour son personnage de policier de la série Starsky et Hutch) revenu dans le village de son enfance avec son fils, découvre qu’un antiquaire, Straker (James Mason), établi dans la vieille demeure Marsten, y a fait venir dans son cercueil un vampire, Barlow (dont l’apparence à la peau fine et bleutée, créée par le maquilleur qui œuvra aussi sur Chromosome 3 (The Brood) de David Cronenberg, s’apparente à celle de son homologue du remake de Nosferatu réalisé la même année par Werner Herzog). Le personnage maléfique ne tarde pas à convertir les habitants en ses affidés, capables de léviter, et Ben est contraint de planter un pieu dans le cœur de sa bien-aimée interprétée par Bonnie Bedelia. L’œuvre, qui pâtit peut-être d’une durée un peu trop longue, a été raccourcie pour être remontée sous forme de film pour le grand écran.


La demeure des Vampires de Salem, son propriétaire qui commence par inquiéter Ben Mars, un de ses affidés interprété par Geoffroy Lewis et son terrifiant locataire.

C’est par contre pour le cinéma qu’il réalise une autre œuvre d’épouvante faisant appel au surnaturel, Poltergeist (1982), sous l’égide du producteur Steven Spielberg. Deux scénaristes, Michael Grais  et Mark Victor, accusent ce dernier de les avoir spoliés d’un scénario qu’ils lui avaient envoyé, comportant notamment la séquence dans laquelle un arbre soudain possédé enlève le jeune fils de la famille au travers de la fenêtre ; on peut supposer qu’ils ont pu avoir en partie gain de cause puisque, s’ils ne furent pas crédités, c’est à eux qu’il fut fait appel pour l’écriture de la suite, Poltergeist 2 : The Other side. Le film qui raconte les épreuves de la famille Freeling en proie aux attaques de forces occultes maléfiques, culminant lorsque la mère (Jobeth Williams) arrache sa petite fille Carol Ann (Heaher O’Rourke) d’un conduit organique menant vers l’au-delà, connut le succès, mais les critiques spéculèrent sur la part réelle du travail de Tobe Hooper, étant enclins à penser que Steven Spielberg avait en réalité largement supervisé le film, ou estimant plus précisément que ce dernier avait traité la vie de cette famille confrontée à des évènements extraordinaires avec la même patte que celle dont il avait fait preuve avec E.T. L’extraterrestre, déléguant au réalisateur officiel de diriger essentiellement les scènes plus horrifiques. La scène la plus crue, dans laquelle un enquêteur du surnaturel se voit s’arracher lui-même la peau de son visage dans le reflet d’une glace, est cependant une contribution du maquilleur Michael McCracken au scénario, qui l’a proposée pour faire suite à une séquence dans laquelle un beefsteak est ravagé par des asticots – celui-là devait initialement se muer en une masse informe inspirée d’un globule blanc, mais Spielberg a estimé que cette transformation pourrait déconcerter le spectateur. Plus macabre encore, des squelettes humains furent importés d’Inde pour la séquence dans la piscine dans laquelle les morts du cimetière amérindien surgissent pour se saisir de la mère de famille au cours de la tempête.


Tournage de la scène du spectre dans Poltergeist. Le père de famille de Poltergeist éprouve les liens de la famille et prend un coup de pied occulte en découvrant la monstrueuse apparition qui se tient derrière la porte.


Le passage très organique qui s'ouvre dans la chambre de Carl-Ann pour l'aspirer dans l'autre monde.

Tobe Hopper a porté à l’écran en 1985 le roman de Colin Wilson Les vampires de l’espace sous le titre de Lifeforce. Le début du film est assez mystérieux avec l’exploration d’un gigantesque et étrange vaisseau spatial, puis le retour sur Terre de la navette spatiale Churchill remplie des cadavres de l’équipage. Les extraterrestres vident leurs victimes de leur énergie vitale et de leur essence spirituelle, et Londres est bientôt ravagée par des hordes de morts-vivants sans âme. Les créatures, qui reviennent périodiquement avec la comète de Halley, ont donné naissance à la légende des vampires. Le seul astronaute survivant, Carlson (Steve Railsback) est obsédé par l’un des vampires qui a pris l’apparence de la femme de ses rêves (Mathilda May). Dans l’épilogue, il fera échec, pour cette fois, aux envahisseurs, s’accouplant avec sa partenaire idéale dans un abandon mutuel tout en la mettant à mort avec une épée le transperçant conjointement dans une symbolique morbide de l’orgasme. Lifeforce paraît de prime abord bien hétéroclite, mais une seconde vision permet d’apprécier toute sa richesse thématique, alliant l’effroi de la révélation de l’existence d’êtres cosmiques auprès desquels l’homme n’est qu’une créature pitoyable et totalement sans défense, le vertige métaphysique, avec la colonne bleutée des âmes s’élevant vers le ciel jusqu’au vaisseau des vampires qui s’en repaissent au-dessus d’une ville livrée à la destruction, et la peinture intimiste du tourment incoercible qui s’est emparé de l’esprit de Carlson et dont la musique d’Henry Mancini traduit fort bien la progression.


L'exploration de l'inquiétant vaisseau de Lifeforce, et ses occupants en animation suspendue, qui ne sont humains qu'en apparence, et auxquels Carlson tente de faire échec en affrontant au plus près l'ennemi intime.

L’invasion vient de Mars (Invaders from Mars) réalisé l'année suivante est le remake des Envahisseurs de la planète rouge de William Cameron Menzies. Le jeune David Gardner (Hunter Carson) a vu atterrir une soucoupe volante, mais personne ne le croit, et bientôt son entourage lui paraît étranger. Les Martiens, qui ont installé leur société sous la surface de la planète rouge, ont implanté dans la nuque de leurs victimes une sonde électronique qui contrôle leurs pensées et leurs actes, en faisant de parfaits esclaves. Le film n'est pas totalement exempt de défauts: L'invasion vient de Mars comporte parfois quelques longueurs et les éclairages outranciers et multicolores du repère extraterrestre rappellent davantage ceux d'une discothèque qu'ils ne suscitent l'étrangeté. Pourtant le film ne manque pas de moments forts; lorsque David Garner voit partir sa mère en sachant qu’elle ne reviendra pas avec la même personnalité, lorsqu’il se retrouve face à ses parents qui complotent contre lui pour le livrer aux envahisseurs, ou que son institutrice autoritaire jouée par Louise Fletcher, qui avale des grenouilles vivantes, le rattrape par surprise, on ne peut réprimer un frisson. De plus, les extraterrestres créés par l’équipe de Stan Winston ont beaucoup d’allure: l’Intelligence martienne au cerveau hypertrophié est particulièrement inquiétante, tandis que les troupes sur lesquelles elles règnent partagent le spectateur entre le rire et l’effroi; ces dernières ont été animées par un animateur de petite taille attaché à l'envers sur un interprète très grand, le premier faisant mouvoir les petits membres en forme de pince tandis que le second assurait le mouvement du monstre. L’amateur de créatures pourrait être tenté de dire que ces êtres monstrueux à la texture très organique justifient presque à eux seuls l’existence de ce remake.


 Tobe Hooper face à un des menaçants guerriers de L'Invasion vient de Mars. Le professeur de sciences naturelles a un intérêt très particulier pour les grenouilles.

Les deux films de science-fiction de Tobe Hooper produits par la société Cannon fondée par les cousins Menahem Golan et Yoran Globus n’ont pas été épargnés par les critiques, qui ont considéré que le réalisateur avait perdu sa capacité à terrifier le spectateur. Le cinéaste revient à ce qui a fondé sa notoriété, en réalisant en 1986, toujours pour la Cannon, une suite à Massacre à la tronçonneuse, dans lequel il fait tourner son quasi homophone Dennis Hopper, puis signera en 2000 Crocodile dans lequel sévit un nouveau reptile affamé. Cependant, à la différence de Wes Craven qui parvint à renouer avec le succès avec Scream, Tobe Hooper demeurera un metteur en scène révéré principalement pour ses tous premiers films, plus particulièrement Massacre à la tronçonneuse. La critique se montre plutôt peu convaincue par ses films de la décennie suivante, comme Spontaneous combustion en 1990, qui s’intéresse comme son titre l’indique aux cas inexpliqués de cadavres retrouvés partiellement calcinés sans explication apparemment compatible avec les lois de la thermodynamique, ici connectés aux radiations nucléaires, dans lequel le réalisateur interprète un technicien de radio qui se consume devant la caméra, ou The Mangler en 1995 dans lequel l’interprète du croquemitaine de la série de film initiés par Les Griffes de la nuit, Robert Englund, immole des victimes à la presse d’une blanchisserie sous influence démoniaque. Il tourne à l’occasion quelque épisode de diverses séries fantastiques, contribuant ainsi aux Contes de la Crypte (Tales from The Crypt), à Amazing stories, Freddy’s Nightmares), met en scène le pilote en deux épisodes de la série Dark Skies : l'impossible vérité, réalise la séquence Oeil pour œil avec l’acteur Mark Hamill recevant les visions de meurtre du criminel à qui on a greffé un œil dans le téléfilm à sketch de John Carpenter Petits cauchemars avant la nuit (Body Bags) en 1993 avant d’être sollicité au même titre que ses autres collègues fameux pour l’anthologie télévisuelle en 2005-2006 Masters of Horror. Alors qu’il vient de disparaître, la presse rend hommage à celui qui n’aura pratiquement été pour elle que le réalisateur de son premier film, comme si sa carrière honorable s’était achevée dans les années 1970.


J.T. Walsh, prématurément disparu, incarne l'inquiétant responsable des services secrets Frank Bach (en haut), combattant l'invasion de parasites extraterrestres, les "ganglions" qui infiltrent l'humanité comme dans Marionnettes humaines de Robert Heinlein, dans Dark Skies: l'impossible vérité, dont Tobe Hooper a lancé la série en filmant le long épisode initial qui pose les bases de l'intrigue.

Jean-François Berreville

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