LA GAZETTE DU CLUB DES MONSTRES |
NUMÉRO 167
par Jean-François Berreville
LES FILMS FANTASTIQUES ANGLAIS DE LA HAMMER ENTRETIEN AVEC RICHARD KLEMENSEN Après lentretien pour le quinzième anniversaire de ce site avec Mario Giguère, créateur du Club des monstres qui fêtait également le sien, et qui nous a permis de nous pencher sur la symbolique du cinéma de limaginaire et de ses créatures, cest à présent une discussion avec un des plus grands connaisseurs de la maison de production britannique Hammer qui est proposée, afin de permettre de redécouvrir ce que furent les caractéristiques de ces films colorés, jugés outranciers par certains, et qui mettaient en scène des personnages effrayants et quelquefois détranges créatures. Avec son épouse Nancy qui était infirmière, lAméricain Richard Klemensen, qui gagnait sa vie en vendant des pièces détachés de camion, se consacre depuis des décennies à évoquer et analyser ces films dans un magazine dont les numéros passés sont toujours réédités et qui nous en donne ici un avant-goût. Quil soit remercié pour sa grande affabilité et la qualité de ses réponses. Voici donc cet entretien réalisé par un Français auprès dun Américain passionné par la célèbre maison anglaise.
- Est-ce que vous vous souvenez quand vous avez pour la première fois éprouvé de lattirance pour limaginaire ? Aimiez-vous les contes de fée, les histoires surnaturelles avec des fantômes ou même la science-fiction durant votre enfance ? - Je lis de la science-fiction depuis ma prime jeunesse probablement depuis la fin des années 1950. Jai débuté avec Andre Norton et plus tard jai lu des uvres dIsaac Asimov, Jack Vance, Brian Lumley (série Necroscope) et Keith Laumer (ses nouvelles ainsi que son roman A Trace of Memory). Je nai pas lu beaucoup dhistoires dhorreur exceptés certains texte de Poe et H.P. Lovecraft. Mon imprégnation aux histoires de fantômes se fit principalement au travers des films. - Jai une question un peu anecdotique ; vous habitez la ville de Des Moines ; en tant que Français, jai appris pour la première fois le nom de cette ville à la sonorité française en lisant le roman de science-fiction de Robert Heinlein Marionnettes humaines (Puppet Masters) - adapté deux fois à lécran, officieusement avec The Brain Eaters et plus tard avec Robert Heinleins Puppet Masters produit par Disney. Lavez-vous lu et en ce cas, cela-a-t-il suscité en vous une impression particulière étant donné que certaines scènes se déroulent dans la ville où vous vivez, ancrant le récit de science-fiction dans votre voisinage ? - Des Moines appartenait, je pense, à une part de la Louisiane quand les Français, et Napoléon, vendirent une grande partie du centre de la région aux Etats-Unis dAmérique, en 1803. Il existe un certain nombre de villes, même ici dans lIowa, portant des noms français comme Dubuque. Et non, je nai pas lu Les maîtres du monde. Pour être franc, jai très peu lu duvres dHeinlein bien que jai beaucoup apprécié ce que jai lu de lui. Mes habitudes de lecture ont débuté loin de la science-fiction avec des livres sur le cinéma, larmée et autres livres dhistoire au cours des années 1960. - Quand avez-vous décidé que votre magazine consacré aux films fantastiques se tournerait exclusivement vers lexploration du monde des productions Hammer ?
- En septembre 1969, je me rétablissait dune mononucléose, et javais rompu avec ma petite amie Margot (un prénom ayant une bonne consonnance française !). Aussi, je suis allé jusqu'à un cinéma de plein air à Waterloo dans lIowa (où nous avions emménagés en 1963) projetant (les drive-ins sont très américain avec notre amour des voitures et c'est une bonne façon demmener une famille entière, ou des amis, permettant avec un montant modeste de voir des films) Godzilla vs The Thing, The Valley of Gwangi (voir hommage à Ray Harryhausen) et Dracula has risen from the Grave. Une dose de monstres de la Toho (compagnie japonaise qui a produit la saga de Godzilla), de Ray Harryhausen et de film Hammer très coloré et divertissant ! Jaimais les films merveilleux, de science-fiction et dhorreur depuis le milieu des années 1950, mais il nétait pas fréquent de pouvoir en visionner en dehors de ce qui était à laffiche des trois cinémas de Mason City, notre petite ville de lIowa comportant 25 000 habitants. Jai acheté quelques numéros de revues comme Famous Monsters of Filmand et Castle of Frankenstein. Jai même fait paraître un petit magazine dhumour quand jétais au collège (9ème année) en 1962-1963 appelé Fleabit. Revenant tôt à mon domicile après une projection (avec mon travail débutant dès 8 heures du matin), jai commencé à acquérir des exemplaires de ces magazines et à les lire. Progressivement, je découvrais quil existait des fanzines amateurs comme Photon, Cinefantastique, Gore Creatures et beaucoup dautres. Jai commencé à en commander un paquet dentre eux et voulais réellement en créer un moi-même. Alors lOncle Sam est venu avec sa convocation militaire en 1970 quand les Etats-Unis se trouvaient toujours plongés dans la Guerre du Vietnam. Jai passé les deux années suivantes sous luniforme heureusement, je nai jamais été envoyé au Vietnam comme le furent nombre de mes amis proches et étant rendu à la vie civile en Janvier 1972, jétais prêt à créer mon propre fanzine dhorreur. Ce qui vit le jour fut La petite boutique des horreurs en 1972 (jai toujours trouvé que cétait un nom qui sonnait bien) le film lui-même nétait alors pas très connu et était tombé dans le domaine public tout comme la propriété du titre. Cest seulement par la suite que la comédie musicale fut créée. Mes trois premiers numéros traitaient de lépouvante en général évocation des acteurs Vincent Price, Lon Chaney, des films de la Toho, mais il y avait aussi une large place réservées aux productions britanniques et particulièrement à la Hammer. En 1974, après ces trois numéros, je décidais de refermer la parenthèse du magazine parce que je vivais avec ma première épouse et concevait une famille. Mais je décidais de reprendre et quatre ans plus tard, en 1978, je réalisais un quatrième numéro, presque intégralement consacré aux films de la Hammer. A partir de ce moment, chaque numéro traitait de la Hammer, et plus tard, dautres films merveilleux et dhorreur britanniques de la période classique des années 1950 à 1980. - Que pensez-vous à ce propos des films réalisés au Royaume-Uni par de petites compagnies cherchant à profiter des succès de la Hammer, engageant quelquefois les plus célèbres acteurs de la Hammer et même son réalisateur attitré Terence Fisher (Edward Small qui refusa de produire Le septième voyage de Sinbad (The Seventh Voyage of Sinbad) que lui proposait Ray Harryhausen fit de même pour Jack le tueur de géants (Jack the Giant Killer) cinq ans plus tard), avec Lîle de la terreur (Island of Terror), Night of the Big Heat, Blood Beast Terror, The Creeping Flesh ainsi que The Trollenberg Terror (The Crawling Eye) et Fiend without a Face, ces derniers complètement sans Vincent Price, Christopher Lee et Terence Fisher, des films qui peuvent sembler très proches de ceux de la Hammer aux yeux du public ?
Quelques films anglais produits par des compagnies indépendantes, à gauche La Chair du diable (The Creeping Flesh) mettant en scène un nouvel affrontement entre deux personnages antagonistes joués par les célèbres acteurs de la Hammer Christopher Lee et Peter Cushing, ce dernier seul à l'affiche du Vampire a soif (The Blood Beast Terror) et à droite une troisième illustration pour la revue "The Little Shop of Horrors" reproduisant une créature extraterrestre de The Trollenberg Terror (The Crawling Eye aux Etats-Unis) dans lequel ne figure aucune des deux vedettes. - Jai aimé tous les films venus dAngleterre, au minimum quelque peu dans tous les cas, et ceux financés par des compagnies américaines mais réalisés par des Anglais créatifs comme en 1979 Dracula avec Frank Langella. Au-delà de la Hammer, nous avons rendu compte de manière complète des productions dAmicus, ainsi que Blood on Satans Claw, Dance of the Vampire/Fearless Vampire Killers, les deux films consacrés au Docteur Phibes, Frankenstein : the True Story téléfilm cité dans les hommage à Michael Sarrazin et plus récemment à David McCallum, Le village des damnés (Village of the Damned), sa suite The Children of the Damned, The Creeping Flesh, les films de la compagnie Tempean (Blood of the Vampire) et beaucoup dautres uvres et dentretiens.
Illustrations du magazine pour Frankenstein : the True Story, une coproduction anglo-américaine traitée par le magazine ; en haut, on reconnaît de gauche à droite les acteurs James Mason, Michael Sarrazin et David McCallum.
D'autres illustrations du magazine évoquant des productions concurrentes de la Hammer, notamment de la compagnie Amicus, particulièrement les monstres pittoresques de Centre Terre, septième continent (At the Earth's Core) avec Peter Cushing ; l'illustration à droite comporte aussi un vaisseau spatial et un envahisseur robotique des Daleks envahissent la Terre (Daleks' Invasion Earth : 2150 A.D.).
Un film anglais considéré comme un classique du cinéma même au-delà du cercle des amateurs de science-fiction, Le village des damnés (Village of the Damned) concernant de mystérieux enfants aux pouvoirs surnaturels nés après qu'une petite commune a été isolée, d'après un roman du Britannique John Wyndham. - Dun point de vue plus général, questimez vous définir le plus fondamentalement les films de la Hammer, en dehors de leur esthétique très colorée et saturée ? Diriez-vous par exemple quils se caractérisent par un certain classicisme formel couplé à un certain goût de la transgression, mélange qui pourrait expliquer leur popularité ? - Les films de la Hammer ne ressemblaient en rien à ce qui était produit aux Etats-Unis à la fin des années 1950. Aucune production américaine ne peut se comparer à Curse of Frankenstein, Horror of Dracula ou encore The Mummy. Même après les adaptations dEdgar Poe par Roger Corman, lallure des films de la Hammer est toujours si fort et unique. Dans cette réussite ne sont pas pour rien des réalisateurs comme Terence Fisher, les décors agencés par Bernard Robinson, les éclairages de Jack Asher et tant de merveilleux acteurs de la région de Londres ayant suivi une formation classique. Même lorsque lépoque de la Hammer touchait à sa fin, laquelle sétend réellement de 1954 avec Le Monstre (Quatermass Experiment) à 1975 avec Une fille pour le diable (To the Devil... a Daughter), la Compagnie continuait toujours à produire des films attrayants et de qualité comme The Hands of the Ripper, Frankenstein and the Monster from Hell et Captain Kronos vs the Vampire Hunter.
A gauche, le plus célèbre réalisateur de films d'épouvante britannique notamment pour la Hammer, Terence Fisher ; à droite, Val Guest qui a réalisé plusieurs films de science-fiction pour la compagnie, Le Monstre (Quatermass Xperiment), La Marque (Quatermass II/ Enemy from Space), Le redoutable Homme des neiges (The abominable Snowman) et la fantaisie préhistorique Quand les dinosaures dominaient le monde (When dinosaurs ruled the Earth). On pourrait citer un troisième metteur en scène célèbre de la compagnie, Roy Ward Baker (voir petit hommage : http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/11/le-dernier-dino-sest-eteint.html).
Le plus célèbre scénariste de la Hammer, Jimmy Sangster, auquel il a en son temps été rendu hommage (http://creatures-imagination.blogspot.com/2011/08/les-tentacules-de-cracken.html). À droite, Nigel Kneale a aussi écrit plusieurs scénarios, comme le producteur Anthony Hinds auquel il a été rendu hommage en octobre 2013 (http://creatures-imagination.blogspot.com/2013/10/en-souvenir-de-dale-kuipers.html). - Peut-on percevoir une forme dépouvante propre à la Hammer, de manière comparative si on rapporte par exemple les films de loups-garous de la Hammer à des films américains comme les productions de lUniversal Le monstre de Londres (The Werewolf of London) et Le loup-garou (The Wolf Man) et les productions des années 1950 I was a teenage Werewolf ainsi que The Werewolf de Fred Sears ? - Les films de la Hammer étaient en couleur et avaient la possibilité de montrer du sang (et des soutien-gorge ??) ; ce avec quoi les premiers et merveilleux films dUniversal ne pouvaient entrer en compétition. Jaime les productions de lUniversal des années 1930-1945, (avec une affection toute particulière pour Abbott and Costello meet Frankenstein de 1948, qui est à la fois amusant tout en étant un véritable hommage respectueux aux créations de lUniversal). Les derniers films de la Hammer nont pas pu rivaliser avec les sorties de LExorciste (The Exorcist), La Malédiction (The Omen) et autres films similaires. Comme déclara le producteur de la Hammer Aida Young : Il y a eu un temps, et ce temps nétait plus. La Hammer avait été dirigée par des hommes plus vieux de la génération de la Seconde Guerre mondiale, et ceux-là ne disposaient pas de largent ou de lexpérience pour des temps de changement, tel George Romero avec La nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead), permettant de demeurer sur le marché américain. A cela sajoute la fin du financement américain (toutes les grandes compagnies américaines de production connaissaient des difficultés fiscales à la fin des années 1960), cela sonna vraiment le glas pour le cinéma classique de la Hammer.
La transformation du personnage maudit joué par Oliver Reed dans The Curse of the Werewolf. - Pensez-vous que le succès des films de la Hammer portant sur la Créature de Frankenstein et les vampires ont poussé la société de production à se détourner ouvertement de la science-fiction de ses débuts après Quatermass Xperiment/The Creeping Unknown, X the Unknown, Quatermass 2//Enemy from Space,à de très rares exceptions comme Les monstres de lespace (Quatermass and the Pit) par exemple, il ny a guère de films comportant des robots ou traitant de menaces technologiques, ou bien parce que cela était plus facile et économique de réemployer les décors gothiques des Studios Bray. ? - La Hammer a toujours fonctionné ainsi, comme le Colonel James Carreras, le responsable de la compagnie, disait à lépoque : Donnez-moi un autre film comme le dernier qui a rapporté de largent. La première production mettant en scène le Professeur Quatermass a été très rentable, la seconde a eu moins de succès, et X the Unknown rapporta encore moins de recettes. Alors, The Curse of Frankenstein fut un triomphe. Souvent, également, cétait moins une affaire de ce que les dirigeants de la Hammer voulaient faire (leur troisième film sur Quatermass en 1967, Les monstres de lespace (Quatermass and the Pit), fut un échec commercial, que de ce à quoi les financiers accorderaient leur aval. De la sorte, la Hammer était connue pour des films daction, certains films de guerre, quelques comédies, des films à suspens avec des maniaques... et BEAUCOUP de films dhorreur.
À gauche, l'affiche du Monstre (Quatermass Xperiment), un film populaire jusqu'au Japon, mettant en vedette Richard Wordsworth en astronaute vampirisé sur lequel le promoteur du vol spatial, Bernard Quatermass, joué beaucoup plus froidement que son modèle de la série télévisée originelle par Brian Donlevy, porte un regard clinique.
Dean Jagger, à droite, devait incarner un homologue du Professeur Quatermass (le scénariste Nigel Kneale ayant refusé qu'un autre utilise son personnage) dans une série de films originaux, mais cette nouvelle offre ne remporta nullement le succès escompté. - On prétend parfois quun petit garçon serait mort de terreur durant une projection du Monstre (Quatermass Xperiment) ; diriez-vous quil sagit juste dune publicité de mauvais goût comme beaucoup le pensent ? - Eh bien, je ne pourrais être affirmatif à 100%, mais jai toujours pensé que cela semblait sortir de limagination exacerbée de quelque chargé de la publicité, et que cela ne sétait jamais produit. - John Carpenter souhaitait que Nigel Kneale, qui imagina le premier des extraterrestres tout à fait non humanoïdes pour lécran avec les séries mettant en scène le Professeur Quatermass adaptées au cinéma par la Hammer, écrive le script de The Thing, mais décida dy renoncer étant donné quil vivait hors des Etats-Unis, mais cela ne lempêcha pas de lui demander un peu plus tard un scénario pour Halloween 3 (Halloween III : Season of Witch), même si le scénariste ne parut nullement satisfait du résultat à lécran. Il y a eu nombre de productions américaines tournées en Angleterre comme Le Village des damnés (Village of the Damned), souvent dans les studios Pinewood comme pour Alien, suivant lexemple de Ray Harryhausen qui sétablit en Europe et uvra sur une production Hammer, Un million dannées avant J.C. (One Million Years B.C.). Diriez-vous quil existe principalement un unique cinéma anglo-saxon faisant régulièrement recours à des talents de part et dautre de lOcéan, ou distingueriez-vous deux approches différentes comme sil existait un fossé entre les deux industries nationales Ridley Scott reconnut avoir eu initialement des difficultés relationnelles lorsquil tourna Blade Runner aux Etats-Unis ? - John Carpenter travailla avec Nigel Kneale et leur relation ne fut pas heureuse. Comme Carpenter le déclara ultérieurement : "ne rencontre jamais tes héros. En ce qui concerne la raison pour laquelle tant de films furent tournés en Angleterre plutôt quaux Etats-Unis, cétait dû au fait quà lépoque, ils étaient moins onéreux à faire en Angleterre. Il y avait ce dispositif dénommé the Eady Levy (une partie de largent que rapportait chaque ticket de cinéma vendu au Royaume-Uni était reversé aux producteurs de films britanniques pour les aider à financer leurs films). Les Américains utilisaient cet argument pour faire baisser les coûts de production. De plus, le producteur James Carreras avait établi une relation amicale personnelle avec nombre de responsables dUniversal, Columbia, Warner Bros ou encore 7Arts et fut capable de conclure des contrats grâce à ces amitiés (la plupart au travers du Variety Club international). Au début des années 1970, toutes les grandes compagnies dHollywood traversaient des difficulté financières ; il nétait plus meilleur marché de filmer en Angleterre plutôt quaux Etats-Unis ; de surcroît, les lois fiscales américaines avaient été modifiées de manière à protéger lindustrie de la concurrence des uvres tournées à létranger. Le but principal en était daider à financer la guerre au Vietnam se prolongeant. Toutes les personnes quavait connues James Carreras étaient alors décédés ou en retraite. Il savait que les choses touchaient à leur fin et cest à cette époque quil vendit la compagnie à son fils, Michael. Celui-ci naurait jamais dû lacheter, il ny avait aucune possibilité quelle survive. Toutes les sociétés britanniques de production comme Hammer, Tigon et Amicus avaient fermé en 1980.
James Carreras sympathisant avec le producteur et réalisateur américain William Castle auquel fait allusion le film de Joe Dante Panic à Florida Beach (Matinee), un genre de cinéaste et producteur américain indépendant dans la lignée de Roger Corman (voir les hommages récemment publiés en juin et juillet 2024), Bert I. Gordon (voir hommage http://creatures-imagination.blogspot.com/2023/03/un-petit-qui-voyait-grand.html) ou Larry Cohen (hommage : https://creatures-imagination.blogspot.com/2019/04/un-brillant-cineaste-independant.html). - Comment expliquer la consécration rapide de Christopher Lee étant donné que son premier grand rôle fut celui dune brute muette défigurée dans La revanche de Frankenstein (Curse of Frankestein) et plus tard en tant que momie (à lopposé de linterprétation de Boris Karloff dans les versions originelles, très pathétique et tragique) ? Dans La revanche de Frankenstein, jai perçu son rôle comme très limité, nétant appelé quà grommeler de temps en temps, le "vrai monstre" étant le savant fou joué par Peter Cushing, un expérimentateur très inhumain comme lancien Nazi testant le conditionnement humain quil a joué plus tard dans un épisode dune série télévisée de la Hammer La maison de tous les cauchemars (The House of all the Nightmares) ? - En fait, Christopher Lee avait eu des rôles mineurs depuis 1954 et navait guère impressionné le public. Il a même indiqué quil navait jamais reçu une lettre dadmirateur pour son interprétation de la Créature de Frankenstein. Pour la Hammer, à cette époque, il était seulement un acteur de grande taille. Cest avec Dracula que se produisit la révélation. Sa taille avait toujours été un inconvénient pour lui lorsquil apparaissait avec de petits acteurs comme Alan Ladd. Avec la Hammer, sa stature devint un avantage. Il nétait pas aussi bon quun acteur accompli tel que Peter Cushing, mais il était plus charismatique. Je ne peux imaginer personne dautre aussi éclatant dans le rôle de Dracula que lui à cette époque.
Un Christopher Lee terrifiant en vampire, sans doute la figure la plus populaire du cinéma de la Hammer. - Comment les productions de la Hammer emplies dhistoires et de scènes horrifiques parvinrent à survivre à la censure ? En 1951, le premier extraterrestre réellement non humanoïde fait pour La Chose dun autre monde (The Thing from another world) aux Etats-Unis fut écarté comme trop horrible. En Angleterre au début des années 1970, Orange mécanique (The Clockwork Orange) fut retiré des cinéma pour cause dhorribles crimes commis par imitation et alors dénoncé comme promotion de lultraviolence ? - La Hammer a combattu durement les censeurs au travers des années. Les producteurs voulaient tourner une version du roman de Richard Matheson de 1958 Je suis une légende (I am Legend) et avaient même fait venir lauteur en Angleterre pour quil écrive un script. Alors les censeurs affirmèrent que sils menaient à bien leur projet, ils banniraient le film aussitôt. Après une bataille vigoureuse quant à ce quil était possible de montrer dans La Nuit du loup-garou (The Curse of the Werewolf), la Hammer atténua le contenu de ses films. Kiss of the Vampire en 1962 nétait en aucune façon aussi spectaculaire que, par exemple, Brides of Dracula. A de rares exceptions, il faudra attendre le début des années 1970 pour que des films de la Hammer puissent montrer des images plus explicites - et une poitrine féminine dévoilée ici ou là. - Que répondriez-vous à ceux affirmant que les films de la Hammer ressortissent principalement à du mauvais cinéma dexploitation reposant sur des scènes choquantes, sanguinolentes, cruelles et sadiques même sil y existe moins dhorreur viscérale que dans les films dhorreur italiens ? - Ils étaient de leur époque. Maintenant, ils ressemblent à de doux contes de fée. Mais pour faire venir le public des années 1950 à 1970 au cinéma, tu ne pouvais plus juste suggérer les choses comme dans les films de Val Lewton du début des années 1940. Les temps avaient changé. Les gens étaient plus sophistiqués. La Hammer a été aussi loin quelle pouvait, mais toujours en gardant à lesprit quil devrait y avoir des changements pour obtenir la classification X appropriée - nota : projection interdite au jeune public. Comme pour les critiques, les auteurs étaient pris dans une époque de cinéma avec un long passé derrière. Les spectateurs nétaient certainement pas daccord avec eux.
Le producteur James Carreras (au milieu) avec le Prince Philippe à droite, serrant la main du comique et magicien Tommy Cooper lors d'une soirée mondaine. - En tant que grand défenseur des productions de la Hammer, que pouvez-vous dire à ceux qui croient que les séries de films impliquant Frankenstein et les vampires sont un peu répétitifs ? - Les films relatifs à Dracula pourraient être perçus comme tels, parce que les auteurs semblaient ne jamais savoir comment employer le personnage. Il a pu faire son apparition occasionnellement mais à partir de Dracula Prince des ténèbres (Dracula Prince of Darkness), les films traitaient davantage de couples et dautres personnages. La série sur Frankenstein était pittoresque et très bien écrite. Le Baron était au premier plan et au centre, créativement, ces films étaient bien meilleurs que ceux impliquant Dracula. Mais Christopher Lee était une figure si marquante, bien au-delà de son personnage de La revanche de Frankenstein, quil a toujours rapporté davantage de recettes que Frankenstein. Le dirigeant de la Hammer dans les années 1970 dit que Frankenstein faisait juste assez de bénéfice pour permettre den réaliser un autre. Dracula a été le gagne-pain de la Hammer jusquà la fin. Sagissant des films de vampires, la Hammer nen a pas tant produit que cela. Et la plupart ont été réalisés après 1970. Je dirais que Brides of Dracula, Kiss of the Vampire, la trilogie Karnstein (The Vampire Lovers, Lust for a Vampire et Twins of Evil) étaient uniques). Comme létaient Vampire Circus, Captain Kronos vs Vampire Hunter et certainement Legend of the 7 Golden Vampires (qui était un univers en soi - nota l'histoire qui se déroule en Extrême-Orient est mêlée avec les arts martiaux). Countess Dracula nétait pas un film de vampire, en dépit du titre. - Est-ce quau travers de la reprise des fameux personnages de lUniversal, les producteurs de la Hammer nont pas négligé des créatures plus originales au bénéfice exclusif de la peinture dincarnations anthropomorphiques du Mal de manière classique, se privant dexplorer un nouveau registre de lépouvante le Grand Inconnu dans lacception lovecraftienne comme par exemple leffrayant premier sketch du film Necronomicon ? Quelle est votre opinion à ce sujet, pensez-vous que cela manque à la gloire de la Hammer ? - La compagnie a toujours fait ce pour quoi les financiers lui versaient de largent. A un moment, la Hammer a pu avoir trente projets ou même davantage en cours. Michael Carreras pour la Hammer voulait faire quelques fictions inspirées de Lovecraft ; la seconde moitié du Peuple des abîmes (The Lost Continent) en 1968 comporte certainement beaucoup dimages évoquant luvre du célèbre écrivain. Une fois que la Hammer avait creusé son sillon, ses responsables écartaient tout ce qui nétait pas un clone de ce qui avait été fait auparavant. Cest en vérité lhistoire de la fabrication de films dans le genre dHollywood. Demons of the Mind était unique. Et cela fut un échec commercial, tout comme These are the Damned.
Le Peuple des abîmes (The Lost Continent) est tiré d'un roman de Dennis Wheatley bien que ses arthropodes géants menaçants évoquent aussi beaucoup les monstres qui hantent également les Sargasses dans les nouvelles d'épouvante maritime de William Hope Hogdson. - Quelquefois, la Hammer a proposé quelques créatures plus inhabituelles comme la femme reptile interprétée par Jacqueline Pearce, et Barbara Shelley jouant une villageoise possédée par une Gorgone diabolique de la mythologie grecque. Ces films ont-ils reçu un accueil du public décevant expliquant que les producteurs de la Hammer soient revenus vers des monstres plus conventionnels comme la Créature de Frankenstein, les vampires, et les loups-garous ? - La Gorgone fonctionna bien pour Columbia en 1964, mais entraîna une perte financière pour La Hammer car le film avait nécessité un investissement trop important pour sa production. Les deux doubles sorties que la Hammer fit en 1965 Dracula Prince of Darkness/Plague of the Zombies et Rasputine the Mad Monk/The Reptile connurent aussi un certain succès commercial, mais les quatre films ont été tournés aux Studios Bray dans la foulée, ce qui avait permis de combiner les frais et ainsi de réduire les coûts. Deux années plus tard, en 1967, la Hammer a dépensé plus de 250 000 livres sur des films comme Les monstres de lespace (Quatermass and the Pit) et The Devil rides out (les quatre films de 1965 avaient à peine dépassé 100 000 livres chacun) et Le continent perdu (The Lost Continent) avait largement dépassé 500 000 livres. Tous perdirent de largent. Les pontes de la Hammer avaient découvert quà lexception de Dracula, il y avait une limite aux bénéfices que leurs films dhorreur pouvaient rapporter, et ils veillèrent soigneusement alors sur leur budget.
Deux tentatives de renouveler la galerie des figures de l'épouvante de la Hammer, la Gorgone mythologique possédant une villageoise dans le film éponyme de 1964 de Terence Fisher et la femme victime d'une malédiction prenant périodiquement des traits ophidiens dans The Reptile de John Gilling en 1967, sur un sujet cependant déjà traité en 1961 par une modeste production américaine, The Snake Woman réalisée par Sidney J. Furie - qui réalisera beaucoup plus tard L'Emprise (The Entity). - Lhorreur est souvent dépeinte par les psychanalystes comme un substitut de la sexualité à lécran, et les critiques expliquent que celle-là est sous-jacente. Nous nous souvenons cependant que le Baron Frankenstein joué par Peter Cushing viole une femme dans le bien nommé Frankenstein must be destroyed. Le personnage de prêtre joué par Christopher Lee dans la dernière production Hammer pour le grand écran, Une fille pour le diable (A Daughter for the Devil) est vu en train de commettre un acte sexuel explicite (en réalité doublé par le futur cascadeur dAlien Eddie Powell vu de dos), et lauteur du roman originel soffusqua pour cette raison. Selon vous, la fin de la Hammer au cinéma sexplique-t-elle par ce changement de registre dû à la volonté du studio de correspondre davantage au climat plus licencieux des années 1970 ou au contraire ce film est-il lultime tentative quelque peu désespérée pour ne pas être supplantée par des productions comme Tanyas Island (un des premiers contrats du maquilleur Rob Bottin) se tournant résolument vers lérotisme nous savons que Roger Corman exigeait souvent de la sorte pour les productions de sa compagnie New World des scènes de nudité dans lintention dattirer un assez jeune public, notamment un certain nombre dadolescents ?
Illustration du magazine pour Une fille pour le diable (A Daughter for the Devil) avec l'enfant diabolique et le prêtre satanique joué par Christopher Lee, une autre adaptation d'un roman de Dennis Wheatley. - La Hammer dut évoluer avec le temps. Le début des années 1970, en particulier, fut une période prolixe en nudité et en scènes de sexe au moins implicites. Faire venir les spectateurs au cinéma a toujours été la motivation première de ceux qui financent les films. Et très certainement, la Hammer et dautres compagnies comme American International Pictures repoussaient les limites. A cette époque, la fréquentation des salles de cinéma continuait de décliner, elle ne représentait plus quune fraction de ce quelle avait été après la Seconde Guerre mondiale et avant que la télévision prenne réellement toute sa place. Détacher les gens de leur poste de télévision signifie quon DOIT LEUR DONNER quelque chose sur le grand écran quils ne pourraient voir sur le petit. Le sexe et la violence représentaient la grande affaire de ce temps en la matière. - Avez-vous appris au travers de vos contacts avec des personnalités du cinéma, et en particulier concernant la Hammer, certaines informations et anecdotes qui vous ont étonné et que vous voudriez bien nous révéler ? - Il y a toujours beaucoup dhistoires. On doit être précautionneux de ce quon imprime afin de ne pas blesser les sentiments des personnes, bien que la plupart des gens concernés ne soient plus parmi nous, car on ne veut pas non plus heurter les familles. Cependant, si tout ce quon peut écrire est elle était charmante, il était charmant, tout le monde était charmant, ce serait ennuyeux nota, cest dailleurs la tonalité de ce qui tient souvent lieu de documentaire sur les DVD et même ceux dont les effets spéciaux ont été supprimés au profit du virtuel se montrent ravis... On a ainsi trouvé qu'un producteur de films fameux des années 1960 avait une liaison avec le compositeur. Ou que le dernier maquilleur de la Hammer, Roy Ashton (un chanteur dopéra accompli avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, mais lorsquelle prit fin, il a eu besoin dun travail rémunérateur), requis pour être la voix chantante de Christopher Lee, a dit Bien, il était assourdissant.. Ou que lorsque le responsable précédent du maquillage, Phil Leakey, se rendit dans son atelier pour prendre un engrenage tandis quune scène était filmée, la porte était verrouillée des membres de léquipe sadonnaient à une relation sexuelle à lintérieur de sa pièce et dirent Phil, prend patience. Nous avons presque fini... - nota, cest sans doute plutôt la perspective dun poste mieux payé que cette infortune ponctuelle qui a poussé le supérieur de Roy Ahston à quitter la compagnie...
Le premier responsable des effets spéciaux de maquillage de la Hammer, Phil Leakey maquillant Christopher Lee en Créature sur Frankenstein s'est échappé (Curse of Frankenstein) et son successeur Roy Ashton maquillant Jacqueline Pearce.
Un autre créateur d'effets spéciaux qui travailla sur un certain nombre de productions de la Hammer fut Les Bowie, qui créa sa compagnie, uvra ensuite officieusement sur 2001, l'Odyssée de l'espace (2001 : A Space Odyssey) et collabora régulièrement avec Ray Harryhausen avant son ultime contribution pour le film Superman. - Les films de la Hammer nont-ils pas mis essentiellement en avant lallure effrayante du monstre en laissant de côté sa capacité à susciter la sympathie au delà de sa différence comme lacteur Boris Karloff dans ses incarnations de la Créature de Frankenstein et de la momie dans les productions de lUniversal des années 1930, à la possible exception du film La révolte de Frankenstein (Frankenstein must be destroyed) en 1969 présentant une Créature vengeresse mais aussi pitoyable interprétée par le talentueux Freddie Jones on pourrait aussi dans ce registre penser au personnage disgracié de Quasimodo, à la fin émouvante du remake de King Kong de 1976, à Martin Brundle métamorphosé en mouche humanoïde et au chien affreusement transformé dans La Mouche 2 (The Fly 2). Est-ce que, dune certaine façon, la Hammer na-t-elle pas été un peu enfermée dans un moule quelle sest elle-même forgée ? - Il est certain que les productions de la Hammer ont usé de laspect horrifique de leurs créatures. Freddie Jones suscite la sympathie dans Frankenstein must be destroyed. En dehors de celui-là, la Hammer a élaboré une formule qui naturellement fonctionnait, mais ne laissait pas beaucoup de place pour lanalyse de la raison pour laquelle les choses se produisaient ou le ressenti de ceux qui en souffraient. Il faut ajouter que la fin de The Gorgon est marquée par les tristes sorts de personnes fondamentalement innocentes. Tout le monde périt... Les enfants de Never take Sweets/From a Stranger et These are the Damned (des enfants radioactifs enfermés dans un bunker comme survivants potentiels dune guerre nucléaire) sont des personnages tragiques.
La souffrante Créature de Frankenstein incarnée par Freddie Jones dans Le retour de Frankenstein (Frankenstein must be destroyed) auquel un petit hommage a été consacré en ces pages suite à sa disparition (https://creatures-imagination.blogspot.com/2020/03/a-la-recherche-des-racines-des-etres.html), au travers des très réalistes illustrations que lui consacre le magazine de Richard Klemensen. - Pour vous, est-ce que le cinéma fantastique est principalement source de divertissement, ce que des grands noms des effets spéciaux comme Jim Henson et Rick Baker - auxquels des dossiers ont été ici consacrés - semblaient considérer, ou bien sapparente à une catharsis traitant de nos angoisses existentielles, comme lécrivain Stephen King et le réalisateur David Cronenberg lont dit, de menaces mondiales comme Joe Dante le suggère au sujet de la bombe atomique dans Panic à Florida Beach (Matinee), ou même à une introspection de la réalité, presque comme un langage capable de convoquer au travers du symbolisme la nature profonde de la réalité nous avons en mémoire quun certain nombre de spectateurs furent désorientés ou même déçus par la fin ouverte de The Thing, John Carpenter ayant souhaité se soustraire au standard de la fin heureuse réconfortante afin de laisser entendre, comme déjà dans lépilogue du remake de 1978 de Linvasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers), que le Mal nest jamais vaincu comme nous le voyons aussi à la fin de La tempête du siècle (Storm of the Century), et que les torts et incompréhensions se faisant jour entre les individus sont irrémédiables comme à la fin de lépisode de La Quatrième dimension (The Twilight Zone) L'abri (The Shelter) ?
Une figure du Mal, le médecin occultiste et ponctuellement clown pour enfants dans le film anglo-américain Rendez-vous avec la peur (Night of the Demon) de Jacques Tourneur en 1957 dans une illustration du magazine de Richard Klemensen.
Le Diable en personne apparaît dans Les Vierges de Satan (The Devil rides out) de Terence Fisher en 1968, mais il n'est qu'une figure très secondaire derrière Mocata joué par Charles Gray, un sataniste qui exerce une emprise puissante sur les êtres les plus influençables ; il est combattu par le Duc de Richleau incarné par Christopher Lee qui trouve là son second rôle positif après La Gorgone. - Je suis âgé et pas toujours un grand partisan des fins ouvertes. Naturellement, The Thing tel que tourné par John Carpenter est aussi réussi que possible. Mais un spectateur de mon âge est nostalgique du brillant final de la version réalisée en 1951 par Howard Hawks, La Chose d'un autre monde (The Thing from Another World). La Hammer, en quelque sorte, a plus en commun avec Monogram et PRC que de plus grands studios. Ses responsables étaient si tributaires des produits que le distributeur demandait quils craignaient souvent de saventurer hors des sentiers battus. Le film favori du producteur Anthony Hind quil fit mener à terme était Never take Sweets/From a Stranger en 1959. Un triste conte sur lenfance maltraitée. Il neut pas de succès au Royaume Uni et fut peu projeté aux Etats-Unis bien que le distributeur, Columbia, considérait qu'il sagissait dun merveilleux film et voulait le diffuser. Les censeurs et la Ligue catholique le firent pratiquement interdire. La même chose sest produite avec These are the Damned. Le merveilleux film de Joseph Losey fut mis de côté. - Est-ce que le genre dépouvante de la Hammer vous semble intemporel en dépit du décor historique dans lequel les intrigues sont contées qui pourrait le rendre particulièrement attrayant pour un certain public, ou diriez vous néanmoins que ces productions reflètent même à minima certaines angoisses contemporaines ? - Intemporel ? Oui. Depuis les Contes des Frères Grimm jusquà Poe et à ses pareils Hammer les a concrétisés, bien quen tant quhommes daffaires à la tête froide, les responsables restèrent soigneusement très loin de ce qui était attendu. Ses promoteurs savaient quils devaient fournir un film bien fait, de qualité, avec une interprétation talentueuse, une bonne mise en scène et une photographie soignée. Par ailleurs, les dirigeants de la Hammer nont pas toujours obtenu laval nécessaire pour leur partition musicale généralement réussie. Anthony Hinds disait nous navons jamais eu beaucoup dargent en banque et la seule politique de la compagnie était de faire ce que les grands studios dHollywood nous demandaient. Les critiques comme les fans appréciaient beaucoup les films, ce qui est gratifiant. Mais je suspecte quaucun dentre eux na jamais rencontré les esprits des gens de la Hammer. Ceux-là étaient des artisans de grand talent, capables de créer des films qui ont passé lépreuve du temps. Un statut dont beaucoup de films à lapproche plus ouvertement tournée vers une ambition artistique ne peuvent se targuer. - Quels sont les films de la Hammer qui méritent le plus selon vous dêtre visionnés ? - Dans la veine science-fictionnelle, je conseillerais Les monstres de lespace (Quatermass and the Pit). Celui que je montrerais à un cinéphile qui na jamais vu un film de la Hammer, afin de lui laisser apprécier par lui-même ce quétait la compagnie Hammer, serait Horror of Dracula, un film bien écrit, sans temps mort ou fin inachevée, avec certains passages visuellement étonnants et une conclusion qui à lépoque fit hurler de terreur les spectateurs. Cependant, le meilleur des films dhorreur de la Hammer est The Brides of Dracula en 1960. Tout y est achevé, cest la grande uvre de Terence Fisher.
La troisième adaptation sur grand écran des aventures du Professeur Quatermass, Les monstres de l'espace (Quatermass and the Pit), avec Andrew Keir reprenant le rôle-titre, aux côtés de Barbara Shelley vue dans La Gorgone et Le village des damnés. - Parmi les projets non concrétisés de la Hammer, lequel auriez-vous le plus aimé voir réaliser ? - Je ne sais pas ce que cela aurait donné à lécran, mais si Vampirella était sorti en 1976 comme prévu, je pense que cela aurait sauvé la carrière de Michel Carreras et la société Hammer. - Pour moi, en dehors du mystérieux script de Jimmy Sangster Goldenfish Bowl in the Sun, une expédition solaire découvrant des extraterrestres, dont on ne connaît rien, cest celui qui devait être consacré au monstre du Loch Ness, qui je suppose aurait été présenté sous un jour effrayant, une coproduction avec le studio japonais Toho avez-vous certains détails sur le scénario envisagé ? Et connaissez-vous la raison exacte pour laquelle ce partenariat échoua ? - Nessie était juste un projet trop ambitieux pour la Hammer à lépoque. Ils navaient pas de fonds à leur disposition et léquipe ne comptait que trois personnes. A la fin, ils essayaient darracher plus quils ne pouvaient mâcher. Le Nessie de la Toho aurait semblé surgir de lunivers de Godzilla, et ce nest pas ce à quoi on se serait attendu de la part dun film de plusieurs millions de dollars. Les producteurs de la Hammer voulaient engager Jim Danforth, qui avait fait les merveilleux effets spéciaux de Quand les dinosaures dominaient le monde (When Dinosaurs ruled the Earth) en 1968, mais il était indisponible car il travaillait alors sur un projet de remake de King Kong nota : lequel devait utiliser comme son modèle lanimation par image et fut abandonné suite à la concurrence de la production de Dino de Laurentiis. A la fin, un film plus dans la lignée de ce que le Studio Amicus avait produit pour la compagnie American International (trois films inspirés par les aventures dEdgar Rice Burroughs) aurait pu être mené à bien par la Hammer. Et encore une fois, aurait fait partie dun long cheminement pour préserver la compagnie de la faillite. Jai lu une fois que Michael Carreras au nom de la Hammer, tandis quil sefforçait de persuader Columbia Pictures de financer Nessie, montra aux responsables le type deffets spéciaux que Toho employait pour ses monstres. Les dirigeants de la Columbia se mirent à rire. Ce nétait pas encourageant...
James Carreras devant une affiche pour une diffusion japonaise d'une production Hammer. - Je crois quil avait été envisagé dutiliser principalement lanimation image par image pour donner vie aux reptiles volants du projet Zeppelin versus Pterodactyls ? - En 1970, La Hammer ne pouvait une fois de plus obtenir les fonds nécessaires pour faire un brillant film épique comme Quand les dinosaures dominaient le monde (dont le coût final, publicité incluse, séleva pratiquement à une hauteur de 5 millions de dollars). Ils pensaient peut-être à user danimation au début et à la fin, tandis que le milieu du film se déroulerait parmi les hommes sauvages comme leur production ratée de 1970 Creatures the World forgot nota : le film fut réécrit plusieurs fois, finalement produit par Charles Band et achevé en juin 2023 sous le titre The Primevals ; il en a été largement rendu compte sur ce site dans larticle de novembre 2023.
Couverture du magazine pour le film Quand les dinosaures dominaient le monde (When Dinosaurs ruled the Earth), un film dans la continuité d'Un million d'années avant J.C. (One Million Years B.C.) pour lequel l'animateur Jim Danforth suppléa brillamment Ray Harryhausen alors indisponible. À droite, cette seconde illustration fut réalisée par le célèbre illustrateur William Stout pour la revue. - La Hammer se tourna finalement vers la télévision en proposant notamment La maison de tous les cauchemars (The House of All Nightmares), qui génère une certaine angoisse avez-vous une même considération pour cette production que pour les films, et dans le cas contraire, quest-ce qui vous paraît faire défaut par rapport à eux ? Les épisodes que jai vus mont paru effrayants, en est-il de même pour vous ? - La Hammer a toujours essayé dobtenir un succès à la télévision. Cela remonte à 1958 lorsquelle produisit un pilote avec Columbia Pictures/Screen Gems Tales of Frankenstein (que Columbia vient juste dacheter afin dobtenir les droits de diffusion de la suite de Frankenstein, Revenge of Frankenstein). Hell of the City en 1959 était un film que le directeur de la Hammer Michael Carreras espérait décliner en une série, de même pour Visa to Canton en 1960. La Hammer réalisa une grande série pour ABC en 1968, Journey to the Unknown, qui ne connut quune saison de 17 épisodes. Durant toute le règne de Michael Carreras à la tête de la Hammer, les producteurs pensèrent toujours que leur seul espoir de perdurer résidait dans la télévision. Il y eut en 1980 la série La maison de tous les cauchemars (The Hammer House of Horror) fait par Roy Skeggs et Brian Lawrence, qui acquirent la Hammer de Michael Carreras en dépôt de bilan auprès de ses créanciers, et en 1983 la production Skeggs-Lawrence-la Hammer Hammer House of Mystery and Suspense. Un des plus récents groupes possédant la Hammer créa une série en streaming en douze parties Let the Right One in/ Let Me in en 2022 basée sur un film de la Hammer de 2012 lui-même inspiré dun film suédois. - La Hammer fut relancée récemment bien que les Studios Bray devraient être vendus. Souhaitez-vous que la Hammer soit fidèle à son héritage ou bien essaie dexplorer de nouvelles directions dans la limite de sa marque de fabrique, et concevez-vous des attentes particulières en la matière ? - A la fin du mois de septembre 2023, John Gore a acquis la société Hammer Films. Il a une longue expérience du théâtre et de la télévision, ainsi que largent nécessaire pour produire plus de films Hammer. Je pense que les propriétaires précédents ont fait du bon travail avec notamment les deux films Woman in black. Mais laspect financier étant hors de leur contrôle, la compagnie a été entravée jusquà être mise sous séquestre au début de lannée 2023. Aussi, un tout nouveau futur débute pour la Hammer. Difficile de dire ce qui peut fonctionner auprès du public actuel. Espérons que la nouvelle Hammer saura trouver la bonne approche. De plus, les Studios Bray existent toujours. Tous les projets ayant envisagé de les transformer en appartements ont été abandonnés. De nombreuses émissions y sont réalisées et en 2020 y a été tournée la troisième partie du Dracula diffusé sur Netflix. - Merci beaucoup pour ce long entretien qui je lespère aura intéressé les lecteurs.
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